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Don’t crack under pressure
DECOMPLEXER LE NON A LA CONSTITUTION
Par Yvon Xydé , le vendredi 27 mai 2005.

Les courbes de sondage montrent que la cote du « oui » et celle du « non » se croisent régulièrement depuis trois mois au gré des déclarations et des événements de l’actualité. A quelques jours du scrutin, il y a tout lieu de croire que le match sera très serré, d’autant que rares sont ceux, pour le oui comme pour le non, qui voteront en toute sérénité, totalement convaincus de leur choix.

Le risque de cette élection, où le consensus progressiste consiste à saluer l’avancée que constitue une constitution européenne, serait de céder au sentiment de culpabilisation que les médias officiels et l’ensemble de la classe politique dite modérée entretiennent dangereusement.

Cette technique en soi n’est pas sans rappeler certains chefs d’Etats africains dont la population est pourtant excédée par trop d’années de règne et qui désignent ici la Côte d’Ivoire, là le Congo ou le Rwanda comme futur probable de leur pays en cas de non réélection. De Gaulle avait également su jouer avec les peurs des Français en 1968 lors des élections qu’il avait remportées haut la main dans une France pourtant pour moitié en grève quelques jours plus tôt. Le spectre de lendemains calamiteux utilisés par les dirigeants au pouvoir en cas de non-reconduction est donc un grand classique de l’histoire dans lequel il ne faudrait pas à nouveau retomber. Partant de ce constat, il ne sert à rien de paniquer suite aux plaidoiries récurrentes de Bernard Guetta ou Olivier Duhamel sur nos médias préférés. Mieux vaut se concentrer sur le fond du débat et réfléchir à la seule question qui compte finalement : voulons-nous l’Europe qu’on nous propose dans ce projet de traité constitutionnel ?

D’abord, il faut avoir l’honnêteté de reconnaître que ce projet comporte de nombreuses avancées qui assouplissent le fonctionnement des institutions, favorisent la prise de décision, clarifient certaines dispositions. Tout cela va dans le bon sens, c’est un premier pas vers une intégration européenne. D’ailleurs, si Giscard et sa clique s’en étaient tenus aux deux premières parties, la ratification de ce traité constitutionnel n’aurait posé aucun problème. Il faudrait être un sacré souverainiste réactionnaire pour refuser les deux premières parties. Evidemment, c’est la partie 3 qui pose problème puisqu’au lieu de fixer un cadre législatif et constitutionnel dans lequel viendraient s’inscrire des lois, tantôt de gauche lorsque la gauche est au pouvoir, tantôt à droite lorsque c’est la droite, la partie 3 fixe déjà une partie des lois ou tout du moins empêche certaines politiques, pourtant démocratiques, d’être mises en application.

Personnellement, je ne suis pas du tout satisfait des politiques menées tant par les sociaux-démocrates que par les libéraux-conservateurs qui se sont partagés le pouvoir en Europe depuis 25 ans, et j’espère qu’un jour viendra où la gauche retrouvera ses esprits et nous proposera une véritable politique de gauche progressiste et innovante, réinvestira de façon intelligente dans les services publics, arrêtera les privatisations, ré-occupera le secteur économique et s’opposera aux fermetures d’usines (Jospin à Vilvoorde : « je ne puis rien y faire ») et nous proposera un autre modèle de développement basé sur d’autres valeurs que la croissance du PIB.

Le problème est que cette politique, si un jour elle était appelée au pouvoir, serait impossible à mettre en œuvre dans le cadre constitutionnel qui nous est présenté. Autrement dit, un autre « mai 1981 » serait impossible. Comment pouvons-nous nous résoudre à subir des politiques dont on connaît désormais les limites pour les deux générations à venir ?

Il y a actuellement en Europe deux courants d’idée qui s’affrontent : celui des états « post-thatchérien » qui estiment que l’économie seule doit tirer un pays vers le haut et générera la richesse et le développement à laquelle les peuples aspirent. Pour ce faire, l’Etat doit se désengager au maximum de l’économie et faciliter les échanges et la production de richesse. Ce courant est celui de l’Angleterre, de l’Espagne d’Aznar, de Berlusconi, et des ex-pays de l’Est nouveaux entrants dans l’UE. L’autre courant est celui des pays où les filets de sécurité sociaux sont encore importants et qui n’ont pas encore (ou peu) entamé cette mutation : la France, l’Allemagne, la Belgique. Il semblerait que le premier courant soit désormais majoritaire en Europe, au niveau des élites en tout cas, puisque c’est sur ce modèle que s’appuie la partie 3 de la constitution.

La constitution sera nécessairement un consensus. La gauche, française de surcroît, ne peut prétendre imposer ses vues dans une constitution. Au moins, peut-elle supprimer de la constitution les clauses qui l’empêcheraient de mettre en œuvre sa politique. Ce consensus suppose évidemment d’abandonner certaines pratiques nationales mais aussi de gagner de nouvelles pratiques ayant fait leurs preuves ailleurs. Et dans ce domaine, il faut que l’Europe soit ambitieuse. Bien sûr le marché commun, la monnaie unique sont essentiels : ils permettent de construire un vaste marché protégé de l’économie mondiale sur laquelle l’Europe peut largement s’appuyer pour écouler les biens, services, matières agricoles qu’elle produit. Cet objectif est déjà largement atteint, mais la Commission Européenne va beaucoup plus loin et négocie à l’OMC des accords destructeurs pour les travailleurs européens et les peuples des pays en développement. Cette face cachée de l’Europe, la Commission ne s’en vante pas. Comment faire confiance à P. Lamy, notre éminent commissaire, socialiste pourtant, qui représente à lui seul 350 millions d’Européens aux négociations à l’OMC sans jamais consulter les peuples ? Comment peut-on croire à ce socialisme quand on sait qu’il s’apprête à devenir le président de l’OMC ? Quel rapport y a-t-il entre la politique économique de l’OMC et le socialisme ?

Donc oui au marché européen, mais alors oui aussi à une fiscalité européenne, oui également à une harmonisation sociale européenne : que les entreprises paient des impôts identiques dans toute l’Europe, qu’il y ait un SMIC européen, qu’il y ait une caisse de retraite européenne, qu’il y ait des intermittents du spectacle européens. Mais l’Europe s’interdit explicitement toutes ces politiques dans la constitution. Nos élites, nos technocrates sont bien trop soumis à la pression des milieux d’affaires pour accepter ce genre de politiques. La seule politique qu’on nous propose aujourd’hui, c’est celle du désengagement. L’Etat ne servirait plus qu’à adapter les règles économiques pour favoriser l’implantation des entreprises, leurs échanges, les migrations de salariés, pour construire cette fameuse zone économique hautement compétitive capable de rivaliser avec les USA ou la Chine. Mais nous serons toujours derrière les USA en matière d’économie car les priorités de nos peuples ne sont pas les mêmes. Et nous serons toujours désavantagés vis-à-vis de la Chine tant que celle-ci restera une dictature.

Sur la question des services publics : si le service public à la française est une idée hautement louable, il souffre il est vrai d’un problème d’efficacité globale. Après trois ans dans une collectivité locale, je note d’ailleurs que le problème de fond vient plus de nos énarques que de nos petits fonctionnaires qui ont, eux, dans leur majorité un réel sens du service au public. Là aussi, l’Europe serait une occasion formidable de s’inspirer de certaines pratiques en cours dans les pays scandinaves par exemple, de fusionner certains services européens (par exemple : un grand service des transports chargé d’exploiter les lignes à grande vitesse entre la Paris, Londres, Madrid, Stuttgart et de réinjecter les bénéfices perçus dans l’entretien des réseaux régionaux moins rentables). Au lieu de cela, on nous propose des services d’intérêts économiques généraux, que la Commission distingue explicitement des services publics, réalisés par des entreprises privés qui ne peuvent intrinsèquement pas avoir les mêmes objectifs qu’un Etat ! Sans pour autant être dogmatique, il faut observer les conséquences de ce type de politique en Angleterre, le pays qui a peut-être le plus régressé en vingt ans en matières de protection sociale : Tony Blair est aujourd’hui le seul politicien européen à avoir une politique volontaire de réinvestissement massif dans les services publics, sous la pression de son opinion. C’est un comble ! Et c’est cette Europe pourtant qu’on nous propose... En Angleterre, le cercle vertueux du capitalisme (un taux de chômage « apparemment » au plus bas, des salaires records pour les haut-diplômés, une capitale au PIB/habitant mirobolant) masque mal la spirale de l’échec pour les plus vulnérables.

Ceux qui disent que grâce à la constitution, la France pèsera plus lourd (13%) dans les prises de décision qu’actuellement (9%) ne peuvent pas être foncièrement européen. Etre européen, à mon sens, c’est dépasser les clivages nationaux et réfléchir en terme d’intérêt général et pas national. La vision actuelle de la Commission n’est pas fédéraliste. Sa politique consiste au contraire à mettre en compétition les Etats pour offrir au monde des affaires le plus arrangeant de chaque pays. Au final, c’est un nivellement par le bas sur les salaires, les horaires, les charges (et donc les filets de sécurité) qui risque de se produire. C’est une politique auto-destructrice qui finira par monter les peuples les uns contre les autres (ça commence déjà entre la France et la Pologne) et qui ne tend pas à l’harmonie générale.

Il est vrai que les conséquences d’un « non » sont imprévisibles et c’est bien ce qui fait peur à tout le monde. Au moins avec le « oui », on sait à peu près à quoi s’attendre... Le 21 avril n’a pas apporté le choc politique que tout le monde espérait. L’attitude de nos politiciens n’a pas changé. Grâce au débat sur la constitution, nous nous sommes rendus compte du chemin accompli par la Commission depuis dix ans, alors qu’elle n’a jamais rendu compte de la réalité de ses politiques devant les peuples. Au fil des années, j’ai fini par perdre la confiance que je plaçais naïvement dans nos partis dits de gouvernement, ces messieurs de gauche aux discours rassurants, mais incapables de résister à la pensée unique du marché et trop sûrs de leurs mandats. Le développement de la société civile, les mouvements citoyens me semblent être aujourd’hui des aiguillons et des contre-pouvoirs bien plus efficaces : Messieurs Chirac ou Jospin qui ont-ils pris le moindre engagement pour arrêter le scandale de la Françafrique ? Le PS s’est-il véritablement engagé contre le traité de Nice ou contre les OGM, contre la dictature et la malhonnêteté de l’OMC ? Entre libéraux de gauche et libéraux de droite, il existe un consensus tragique au service de la continuité, au détriment de la créativité et du changement. A chaque fois, ce sont les associations et les mouvements d’initiatives populaires qui ont essayé (parfois avec succès) de faire réagir nos dirigeants. La campagne pour le référendum en est encore un bon exemple : merci Internet d’avoir offert un espace alternatif, loin des canaux officiels de la communication, une tribune à la société civile. Le mythe du politicien de droit divin est en train de s’effriter, c’est à la fois tant mieux pour la démocratie, et inquiétant puisque le populisme et l’abstention gagnent du terrain.

Bien sûr, cette constitution et la construction européenne telle qu’elle est actuellement envisagée apporteront beaucoup de bienfaits à une partie des européens ; en premier lieu, les diplômés, ceux qui sont suffisamment armés intellectuellement, psychologiquement et financièrement pour s’adapter et tirer profit de ce système qui sait récompenser grassement le haut de l’échelle, mais délaisse petit à petit les plus faibles. Alors, globalement pour nous, cette Europe ouvre de nouvelles opportunités : nous sommes jeunes, nous sommes mobiles, nous sommes flexibles, nous avons des CV prometteurs, etc. Les petits salaires, ceux qui sont attachés à leur région d’origine et dans l’impossibilité psychologique de s’adapter à une autre région, un autre pays, les précaires, se retrouveront encore plus démunis dans cette Europe qui consacre la mobilité, la compétition des travailleurs, la concurrence des services publics et réduit la voilure des filets de sécurité sociaux pour préserver son déficit et baisser les charges.

Bref, le rejet de cette constitution peut être, je l’espère, le point de départ d’une autre manière d’envisager l’Europe. Loin de l’affaiblir, il pourrait permettre à nos élites de remettre en question la feuille de route, d’intégrer de nouvelles considérations, de penser un fédéralisme plus humain, et... succès ultime, ouvrir une voie alternative pour les autres pays émergents, l’Afrique par exemple, une voie ou la croissance économique serait mise en rapport avec la production de déchets et les émissions polluantes, ou le taux de chômage serait relativisé avec le niveau de précarité de l’emploi, une voie où le développement de la culture comme source d’émancipation et d’ouverture constituerait un objectif prioritaire, une voie où le travail ne serait plus perçu comme une compétition permanente contre soi-même ou contre les autres, une voie où la réussite sociale se mesurerait autrement que sur les critères professionnels. Les scénarii post-électoraux en cas de rejet de cette constitution, sont multiples et imprévisibles. Mais il revient aux citoyens, aux mouvements civiques, aux associations de maintenir la pression sur nos dirigeants, sur nos technocrates et d’être force de proposition pour infléchir la tendance et bâtir une autre Europe. Tout cet espoir s’envole si nous succombons aux mises en garde et aux chiffons rouges agités par les organes officiels de communication. Allons-nous une nouvelle fois nous résigner à choisir le consensus mou, à accepter une politique qui ne porte plus en elle les germes de l’espoir ? Allons une nouvelle fois sacrifier des perspectives d’avenir enthousiasmantes à la morosité et au fatalisme ? Le référendum est une question posée au peuple. Le référendum prend le risque de remettre en cause une politique. Le peuple doit donc saisir sans complexe les occasions qui lui sont offertes de se prononcer. Bon courage à tous pour le 29 mai !

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