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CNE-CPE (suite)

Par Le Grand Chef , le lundi 13 février 2006.

Parce qu’il est bon Chef, le Grand Chef poursuit le débat sur le CNE-CPE qui nous menace (et bien que, comme dans tout bon Etat qui se respecte, une grande partie des Luciocrates soit fonctionnaire) en vous éclairant sur l’organisation internationale du travail grâce à bon article, eh oui ça arrive, publié dans lemonde.

Quand un pays connaît durablement un taux de chômage qui avoisine 10 %, comment pourrait-on reprocher à son gouvernement de rechercher les moyens de lutter contre ce fléau ? Tel est l’objectif affiché par l’ordonnance du 2 août 2005 relative au contrat de travail "nouvelles embauches" (CNE) et par le projet de loi relatif au contrat "première embauche" (CPE) en cours de discussion au Parlement.

L’insécurité sociale supplémentaire créée par ces nouveaux contrats devrait satisfaire au moins une catégorie sociale : les chefs d’entreprise. Ils vont pouvoir enfin, espèrent-ils, parvenir à licencier à leur guise, sans avoir à donner de motif, sans avoir à s’en expliquer ni avec leurs salariés, ni surtout devant le juge, les personnes recrutées par CNE et CPE, pendant les deux premières années de ce contrat. Hélas pour les employeurs, la réalité sera toute différente, pour plusieurs raisons.

1. Contrairement à certains propos officiels imprécis, l’employeur devra, comme aujourd’hui, dans un certain nombre de situation, convoquer préalablement le salarié à un entretien et lui adresser une lettre de licenciement très précisément motivée, en respectant certains délais, le tout sous le contrôle du juge.

Ce sera vrai pour tous les licenciements "disciplinaires", qui sont les plus nombreux, mais aussi dans les cas de discrimination ou bien quand il s’agira de licencier une femme enceinte, des personnes victimes d’accidents du travail ou de harcèlement, des salariés conseillers prud’hommes, des candidats aux élections professionnelles ou des représentants élus du personnel.

Bien entendu la méconnaissance de ces règles, même par des dirigeants de petites entreprises de bonne foi, sera sanctionnée, selon le cas, par une indemnisation du salarié irrégulièrement licencié (pour faute), ou sa réintégration après annulation du licenciement (pour les salariés protégés).

Quel est alors le domaine résiduel d’application des nouveaux textes ? Les licenciements pour insuffisance professionnelle - distincts des licenciements disciplinaires - et les licenciements pour motif économique ; encore que, pour ces derniers, l’obligation de consulter les représentants du personnel élus subsiste dans certains cas.

L’on pourrait déduire de ces constatations que, au moins pour une large part, les garanties accordées aux salariés depuis 1973 sont sauvegardées. Ce serait une erreur de le croire.

2. En effet, en droit commun, le salarié licencié sait ce que l’employeur lui reproche. Il peut donc, en connaissance de cause, décider de saisir ou non le juge, ce qui se fait assez rarement, contrairement à une idée reçue chez les employeurs. Devant le juge, la lettre de licenciement fixe les limites du litige. Avec le CNE (et demain le CPE), la lettre de licenciement sera le plus souvent non motivée. La charge de la preuve incombera au salarié qui devra démontrer que son licenciement n’est fondé ni sur l’insuffisance professionnelle ni sur un motif économique. Perversion du système : l’ignorance du motif du licenciement va contraindre le salarié, pour le connaître, à assigner presque systématiquement en justice son employeur (alors que l’on entretient les employeurs dans l’illusion que le CNE les mettrait à l’abri du juge !).

D’une manière plus générale, la nouvelle réglementation va contraindre les salariés - et à leur suite les juridictions du travail - à revenir à une jurisprudence de... 1872, maintenue en vigueur jusqu’à la loi du 13 juillet 1973, selon laquelle le salarié licencié n’a pas droit à réparation même lorsque la rupture du contrat a lieu sans justes motifs, mais peut y prétendre si l’employeur commet une faute, un abus, dans l’exercice de son droit de résiliation unilatérale. Contentieux en perspective...

Mais en amont de tout cela, les salariés auront à faire trancher une question de principe essentielle ; l’ordonnance du 2 août 2005 est-elle conforme à la convention no 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT), ratifiée par la France ? Le juge judiciaire doit écarter la norme interne en cas de non-conformité. Or, l’ordonnance en question est contraire à l’article 4 de la convention de l’OIT, qui interdit qu’un travailleur puisse être licencié sans qu’il existe un motif valable de licenciement, ainsi qu’à l’article 7 qui impose l’existence d’une procédure contradictoire en cas de licenciement pour des motifs liés à la conduite ou au travail du salarié.

La seule discussion portera sur le point de savoir si s’applique ici l’article 2 de la convention qui permet d’exclure des garanties qu’elle prévoit les salariés "n’ayant pas la période d’ancienneté requise à condition que la durée de celle-ci... soit raisonnable".

Le Conseil d’Etat a considéré que le délai de deux ans prévu par l’ordonnance précitée était raisonnable au regard du but poursuivi (favoriser l’emploi). Sa décision, très contestable, ne s’impose nullement au juge judiciaire, qui a toute latitude pour avoir une appréciation contraire. Pour le moins le juge prud’homal devra tenir compte des termes de la convention no 158 pour interpréter restrictivement l’ordonnance du 2 août 2005.

Cependant le plus préoccupant est ailleurs. Imagine-t-on la situation angoissante de ces salariés qui, chaque matin, et pendant deux années, ignoreront si leur contrat sera maintenu le lendemain, même s’ils bénéficieront, en cas de rupture, d’un court délai de préavis, insuffisant pour retrouver un emploi ? Certes le CDD est aussi un contrat précaire. Mais au moins pendant toute sa durée, qui peut atteindre dix-huit mois, le salarié est sûr de ne pas être licencié (sauf faute grave ou force majeure).

Comment les salariés parviendront-ils à faire respecter leur dignité alors que, à la moindre contrariété ressentie par leur employeur, ils sauront qu’ils peuvent, sans préalable et sans motif, voir leur contrat rompu ? Une récente étude de la Sofres explique que 40 % des salariés du secteur privés ne se syndiquent pas "par peur des représailles". Ce sera vraisemblablement près de 100 % pour les titulaires de CNE et de CPE...

Non, décidément, l’espoir très aléatoire d’une amélioration de l’emploi ne peut justifier l’existence d’une catégorie de salariés corvéables à merci et l’effacement de trente-deux années d’acquis sociaux, ainsi que la négation de principes fondamentaux internationalement reconnus.

Tiennot Grumbach, Pierre Lanquetin, Pierre Lyon-Caen, Claude Michel, Christine Zbinden. Les auteurs sont membres de l’association Loysel qui rassemble des juristes bénévoles ayant eu une expérience en droit du travail (avocats, magistrats, syndicalistes, militants associatifs).

Article paru dans l’édition du 11.02.06

En ligne : "Employeurs, salariés, vous avez été trompés".

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