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L’Empire G&N
Google Earth, c’est comme Nicolas : forcément, il fallait en parler.
Par Guernaoueb , le lundi 25 juillet 2005.

Google Earth c’est génial, voir les plis du Sahara, les voitures qui roulent sur le Golden Gate, la rue des Colchiques de Sainte Luce sur Loire, ça époustoufle son homme. Sa femme aussi. Mais ça n’en tracasse pas moins ici bas...

Après une rapide démonstration sous les yeux ébahis du Grand Chef, la cause était entendue : le Grand Site devait évoquer cet inutile outil ravissant qu’est Google Earth. Merci donc Grand Tyranosaure d’avoir pris le relais. Je prends la suite pour parler de la suite justement.

-  Parce que je ne peux pas m’en empêcher
-  Parce que suite à un mirobolant article sur Google Earth et dans une logique Grande Educatrice du Peuple que je suis (Peuple) il me faut mon antithèse et ma synthèse [1].

J’ai découvert Google Earth début juillet. Auparavant, j’avais déjà utilisé Google Scholar, Google Define, je m’étais renseignée sur Google Print. Et depuis, mon grand plaisir était de montrer la bête à toute personne qui passait le pas de ma porte. Le toit de Beaubourg, les plis du Sahara (j’insiste), sa rue préférée (je suis bon prince). Et en parler sur le Grand Site.

-  Seulement voilà, les remords. Je sais, je sais, le buzz autour de Google est déjà immense, et encourager la monopolisation du marché de l’info par le géant marchand, c’est mal.

Mais rien à faire, tout ça me fascine. Un peu comme constater que l’infame Sarkozy est un odieux dieu communicant. J’aime pas c’type, je le trouve très dangereux (cause effet) et je reste coite à chacune de ses nouvelles stratégies.
Jeudi encore, jour des attentats de Londres : le voilà le soir sur France Info qui annonce qu’il a des chiffres différents du Quai d’Orsay, + de morts, + de blessés, un AlQuaida incertain (mais une incertitude reste de l’information, n’est-ce pas). Le tout d’une voix très posée très éloignée du hareng politique.
Plus tôt, c’était sa fameuse humanité mise en avant avec ses malheurs conjugaux. Et je passe ses prétendus coups de gueule populistes (pas de clémence pour Clément).

De la comm’, rien que de la comm’, et une mono-orientation utilisateurs comme on dit en ingenierie marketing. Moi, c’est comme Google, je trouve ça incroyable. L’utilisateur (électeur) serait tout et justifierait tout. Ca confine à la dictature populiste, surtout quand l’action consiste à flatter exclusivement les instincts d’individus [2].

Pourtant, je trouve que Google a de (très) bonnes idées, et visiblement il vise juste. En bibliothèque, où le métier vient de longues traditions orientées techniques (indexer les documents, proposer des classifications performantes, conserver), je rêve souvent des nouveaux services de Google - ses fameuses Beta - généralement lancés comme des palets sur l’eau, ricoche, ricoche. Exactement comme Google Earth.
Et l’on me dit que Sarkozy a une qualité : il a compris qu’il fallait moderniser la politique (communicante) ; on ne peut plus s’adresser aux électeurs avec les mêmes mots et attitudes qu’il y a cinquante ans.

Malgré tous ces aspects positifs, une chose me dérange : le désir absolu de monopole [3], la prétention à l’indispensable, l’absence de recul lorsqu’on parle de ses nouveautés, la mise sur l’émotion etc.
Et c’est bien sur ces aspects que l’on retrouve le perfide Sarkozy. Il faut être partout, sur tous les fronts - et surtout ceux des autres (cf. Google Earth vs mappy.com / Sarkozy vs la vie des stars, leur coeur leur cul). Mieux encore, être à la source de tout (les débats, l’information). Aussi s’ingénie-t-il à créer le maximum de polémiques, même les plus stériles et inutiles. Comme le palet : si ça ricoche, ça fera un débat. Plus fort que le recyclage permanent de la Real TV.

Et dans cette affaire, la presse retrousse ses babines comme on retrousse ses manches, elle s’affaire et se les lèches après le festin. Pas de newsmagasines, quotidiens, hebdos, qui n’aient eu son lot d’articles sur le "génie Google", ou celui de ses créateurs, Lary Pane et Sergey Brin. Pas de Newsmagasines, quotidiens, hebdos qui n’aient eu son lot d’articles sur "Nicolas", comme ils disent avec bonhommie, ironie ou moutonnerie.

Débattre, informer, c’est bien. Mais attention, qu’on ne confonde pas :
-  il y a l’OFFRE : les services de Google, les actions de Sarkozy (la LSI, la loi sur la sécurité intérieure, incroyable panoplie de régression des libertés individuelles et grande pourvoyeuse macabre du Sida auprès des travailleuses du sexe qui ne peuvent plus avoir accès au Bus de prévention sida, aux préservatifs etc., le reste, j’attends encore qu’on m’en parle). Présenter, remettre en contexte, expliquer les objectifs, les moyens, les succès ou échecs pressentis ou déjà réels. Le boulot du journaliste, quoi.
-  il y a le STYLE (ou la Comm’) : la comm de Google, son buzz, ses petits services inutiles mais si jouissifs. La comm’ de Sarkozy, les médias, les peurs des individus (peur du jeune foncé à casquette, détresse de la séparation conjugale, sentiment d’injustice). Et là aussi d’ailleurs on pourrait mettre en perspective, comparer avec le style d’autres compagnies (Ikea par exemple) et d’autres politiciens. Et l’on peut aussi s’enflammer, oui, mais en sachant sur quoi on s’enflamme : le style.

Mais heu.. youh-youh la presse News ? Hé ho ? Parler autant et si souvent d’un Style c’est pas un peu débile ? Une fois dans l’année dans le Monde 2, je veux bien, faire un livre, pourquoi pas, tout le monde écrit, une chanson aussi, mais les Unes répétées des mags, les articles du Monde... Ca fait un peu mal.

Et le démocrate de rêver... Un homme politique qui ne serait qu’un style, ça ne poserait pas qq problèmes, par hasard ? Quelques risques, populistes, etcétéristes etcétérastes ?
D’autant que le style si apprécié des journalistes est largement mélangé au reste, aux "actions" par exemple. Et c’est LeMonde qui écrit en pleine Une du lendemain du Non à la Constitution, au beau milieu des 12 plaies d’Egypte promises par Colombani et confrères suite à l’inconscience du Non : "Les Français veulent Sarkozy" [4].

Je conclus, je conclus.

Google, Sarkozy ?
-  Rien d’innovant mais une aptitude à saisir l’air du temps : on prend les trucs qui marchent et on assemble
-  Une comm’ efficace : on fait du bruit, on lance des palets sur l’eau

Et surtout :
-  J’y vois une même fascination sans recul clamée partout dans les médias et relayée sans jamais de mise en perspectives. Je trouve cela facheux.
-  J’y vois un même oubli : On n’élit pas un style, on ne vit pas avec un style. On aurait tort de confier l’intégralité de l’accès à l’information, toute l’information rien que l’information à un unique portail d’accès. On aurait tort de confier l’Elysée et lyriquement le destin des hommes d’un peuple à un style. Par mesure de précaution, et même si Lary, Sergey et Nicolas étaient de chouettes petits gars animés du beau désir de rendre service.

Critiquer Google ou Sarkozy, nouvel air du temps ? tout compte fait, j’y vois surtout nos "erreurs". Ils sont (font) ce qu’ils sont (font). A nous de remettre les actions à leur place et le style à sa place. Mais on sait bien que c’est impossible tant que les médias joueront le jeu de travers. J’appelle ça concurrence faussée. C’est pourquoi je continuerai de me réjouire lorsqu’au détour du web je trouve des alternatives à Google, ou ses précurseurs.

Pour moi, le débat : de la réflexion, de la précaution, de l’audace, et beaucoup de mise en perspective. Pas vu ça dans beaucoup d’articles, moi.


Notes :

[1] J’ai plus de mal pour la synthèse, j’avoue. Alors je planche.

[2] J’ai pas dit individualistes, mais la marche n’est pas loin. Et rappelons qu’une personne, un gens, n’est pas seulement un individu.

[3] Secteur visé : le marché de l’information. Moyens : être l’unique accès au contenu web (moteur de recherche), tes emails (Gmail - à quand Google Messenger ?), créer les contenus web (Google Blog), l’Actu (Google Actualités, l’AFP en tortille ses petites fesses de mécontentement, procès ici), ton bordel (Google Desktop), ton dico (Google Define), ta thèse avec la littérature scientifique (Google Scholar à la pointe pour la recherche en ligne d’articles, citations y comprises), tes livres avec la numérisation de tous les livres du monde (Google Print, à faire trembler les tours de la BNF), ta planète (GoogleEarth soit La planète expliquée à mon chat), et j’en passe. Que peut-t-il bien rester encore ? J’ouvre la question car je planifie. J’ai bien pensé aux Pages Jaunes. Mais enfin c’est maigre. Une plateforme musicale ? cela reste-t-il de l’information ?

[4] Mot pour mot. Et si l’on creuse un peu : ces français étaient 24% à répondre à une question (on ne saura jamais laquelle) qui semblait proposer plusieurs politiques de droite. Parmi ces politiques de droite répété-je, 24% citaient Sarkozy.
Le Grand Chef se rappellera ce grand moment de fraternité lorsque nous découvrimes pétrifiées cette fameuse Une. C’était pas rien, hein.

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