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On enferme le Grand Chef

Par Le Grand Chef , le jeudi 10 janvier 2008.

Je sors du travail. Guillerette. Il est 17h20. Pile poil l’heure parfaite pour sortir du travail et marcher un peu. Puis aller chez les amigos qui habitent le quartier. En ce moment le soleil se couche vers 18h. Il y a toujours de l’animation avenue Christophe jusqu’à 19h. Parfait pour promener un Grand Chef avec ses petits pieds. Je sautille presque à l’idée d’aller faire ce petit tour de rien.

Je sors du travail par la porte de derrière, la grande porte de devant est déjà close. Je débarque sur le parking. Une voiture m’attend bien entendu, j’informe que je ne monterai pas dedans. Elle démarre et s’en va. Evidemment je n’ai pas précisé que j’allais me promener, d’ailleurs, au cours de ce qui va suivre, je n’ai jamais évoqué cette idée. Je n’ai fait qu’affirmer que j’allais chez des amis qui habitent à deux rues de là. Me rendre d’un point à un autre, à pied. J’ai eu le temps d’acquérir assez de réflexes dans cette ville pour ne jamais prononcer en public le mot promenade. Le concept est suffisamment scandaleux pour être systématiquement et volontairement occulté.

Il reste sur le parking une innocente voiture, dont je connais les utilisatrices et qui n’est pas encore partie. L’une d’elle me regarde insidieusement, appuyée sur la portière du passager avant. Je sais qu’elle se réjouit facilement et prend son sourire pour l’affichage quotidien de la joie de vivre. Je m’approche pour dire au revoir et voir s’il n’y a pas une bonne blague à faire ou à entendre.

« Tu ne vas pas partir à pied ? nous allons t’emmener. »

C’était prévisible, mais je suis toute armurée, comme Athéna, de volonté indéfectible et d’assurance souveraine. M’auront pas, me feront pas grimper dans une auto. J’entame, d’une voix lyrique, mon argumentaire pour la liberté de circulation des Grands Chefs. J’invoque le droit à l’ampoule au gros orteil et à la musculature des mollets. Je tente de faire vibrer mon petit public aux mots de bitume sous mes pieds, nez en l’air, vent dans les cheveux. Echec. Mon public est de marbre.

Arrive un tiers, je sens qu’il peut me sauver, je l’accueille à bras ouverts dans la discussion :

« Te promènes-tu dans Port-au-Prince ?
-   Oui, souvent. Mais... »

Et là, il me regarde de la tête aux pieds comme on jauge un p’tit enfant pour voir si son corps peut réellement contenir la bêtise qu’il refuse d’avouer. Je vois bien qu’il essaie de faire la balance entre l’évidence de l’appât que je suis - chacun sait qu’il est souvent difficile pour le Grand Chef de se promener en public parce que la foule se jette facilement sur lui et lui tire sur les oreilles, lui souffle son haleine fétide sur ses lèvres grenat, et se pend à son gras du coude - et ma capacité à passer inaperçu, voire à me défendre.

Apparemment sans mes gardes du corps je ne suis pas très crédible.

« Mais toi... »

Voilà, mon dernier espoir qui s’en va et je regarde tristement la petite voiture blanche qui me coule un regard crétin comme le font souvent les petites voitures blanches, timides et innocentes.Comme à l’article de la mort, j’ai un sursaut de réflexe. Je sors l’argument massue. Ne pas me laisser marcher à pied c’est me faire entrer dans la paranoïa la plus totale, me rendre claustromaniaque, augmenter le risque que je produise des décrets cruellissimes pour mon peuple parce que je m’ennuie etc. Evidemment mes interlocuteurs, pour tenter de me faire relativiser, digressent et se marrent. Font un détour par des commentaires oiseux sur la prochaine manifestation prévue. Un moment je me dis que je pourrai profiter de l’intermède pour partir en courant sans me retourner.

Mais ils se rappellent de mon existence et me font grimper, enfin je devrais plutôt dire descendre, dans la p’tite voiture blanche, car la p’tite voiture blanche est très basse. Et me déposent 900 mètres plus loin...

Avouez que ça valait bien un TPI. Pour ceux qui ignoreraient les raisons de la parano haïtienne, ce sont les kidnappings qui occasionnent ce stress fatiguant. Par ailleurs, pour ajouter à mes malheurs, il y avait ce matin des fourmis dans mon galon d’eau et des fourmis dans mes céréales. Pas les mêmes fourmis bien sûr, le conseil des espèces de fourmis répartit par type de fourmi les attaques à réaliser durant la nuit.

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