De même que la tartine tombe sur le côté beurré, de même qu’en voiture vous vous trouvez toujours sur la pliure de la carte routière, de même le livre sait jouer la résistance passive de l’objet contre l’homme.

En effet, cherchez-vous un livre sur les rayonnages, il se trouvera toujours sur l’étagère la plus basse - celle qui oblige à s’accroupir pour lire les tranches quand il faudrait s’allonger pour voir les cotes, celle qui est près de la porte, cachée par la corbeille à papiers...

Pourtant, munis sagement de la cote vous suiviez d’un oeil confiant d’abord, mais inquiet bientôt, la succession alphabétique des tranches. Ma, étagère du milieu ; Mu, en haut : non, vous avez dû vous tromper, Montaigne n’est pas... vous consultez fébrilement la rangée du milieu : dernier livre, Mistral. En haut, premier livre, Musset. Soupirs, craquements de genoux, étagère du bas : Montaigne.

Décidez-vous le jour suivant, pour faire diversion, de lire un poème de Mistral ou quelques vers de Musset, l’implacable Loi de l’Ordre Alphabétique s’applique alors. Un mystérieux arrivage nocturne de l’intégrale de Victor Hugo aura décalé tous les rayons. Mistral en bas, Montaigne en haut. Musset en bas, Montaigne au milieu.

La misère, quoi.