Dans la même rubrique
- arrg, grrr, pffifu, han han
- Faune locale
- Dubito
- Comment j’ai tué mon scorpion
- obscures salles
- Et nos ventres alors ?
- Ralage
- Le dépistage à 36 mois des signes suivants :
etc.

Autres piges de
Coin-Coin

- Grand Jeu de l’Hiver, tirage au sort
- Lemming
- Définition des statuts du Ministère De L’Oubli
- Le Tartuffe
- Cyrano de Bergerac à la Comédie-Française
- New York Masala
- Misères de bibliothèque
- Noces funèbres (Corpse bride)
etc.


O
ù kon est ?
> TPI - Misères et Doléances > Misère alerte niveau 3 (médiane)

Quel petit vélo au fond de la cour ?
Où l’on apprend l’utilité des antivols
Par Coin-Coin , le mardi 18 octobre 2005.

Tout a commencé mercredi dernier, un après-midi de manifestation...

La toute première erreur fut d’aller manifester, une punaise fichée dans le pneu avant. La seconde fut de l’enlever : un bref "pfuit", puis durant tout l’après midi, le droit de contempler mon pneu flageolant contre la jante en faisant "flobodop chouic chouic". Une misère.

Je m’étais pourtant bien prémuni contre la troisième erreur fondamentale : ayant enchaîné consciencieusement mon vélo aux deux roues, puis enlevé la selle, je m’étais dit que je le récupérerais en temps voulu pour changer la chambre à air.

Las ! Une semaine plus tard, le choc fut terrible : mon vélo n’avait plus forme humaine. Quelque impitoyable et monstrueux cataclysme avait broyé la roue avant. Tandis que sa jante convulsée, encastrée dans le garde-boue presque compacté, se tordait contre la fourche, les rayons arrachés semblaient chercher un dernier souffle en-dehors du cercle défunt de la roue. La mâchoire vide des freins, seule, pendait.

Qu’il soit bus aveugle, camion pressé, voiture ivre ou petit voleur rageur et surexcité, celui qui fait ça à un vélo est un monstre.

Le regard des gens me l’a dit, les gens me l’ont crié. Celui qui a fait ça est un monstre.

Car il fallut se trimballer le cadavre déchiqueté depuis Pasteur jusqu’à Plaisance, évidemment, sous les regards des passants. Dans le regard inquiet du premier, j’étais le meurtrier qui transporte le corps. Dans le regard inquiet du second, j’étais un miraculé d’un terrible accident de la route. Le regard plein de pitié du troisième aurait administré à mon vélo une piqûre de vétérinaire. Un quatrième semblait fasciné par l’aspect plastique et sculptural de ma roue, quand un groupe de lycéennes compatissant s’enquit de ma mésaventure.

Tous les petits enfants lâchaient la main de leurs parents en criant "vélo, cassé !". Le cycliste qui m’apercevait détournait aussitôt la tête, soit par pudeur comme à l’annonce d’un décès, soit qu’il craignît le Mauvais œil ou le vol envieux de sa deuxième roue .

Deux amoureux interrompirent leur baiser pour commenter mon passage. Un clochard à Montparnasse me hurla d’une voix rauque "Ohé, dis, hé, pas de chance hein !", tandis qu’un cadre supérieur grisonnant m’abordait d’une voix tremblante, me confessant que la semaine passée, c’était sa sœur qui s’était fait dérober le sien. Il me quitta sur un "bon courage" empreint de la compassion discrète des thérapies de groupe.

Enfin, à tous les coins de rue, d’innombrables "ouhlà, le vélo" dans d’innombrables bouches parisiennes anonymes, tous les hommes laborieux, grands-pères oisifs, femmes d’affaires et lycéens que l’on croise un mercredi après-midi lorsqu’on a un vélo à la main.

Le vélo depuis est couché près de la maison d’un réparateur. Sa fièvre est tombée, mais il grelotte encore. Je voudrais remercier tous les Parisiens que j’ai croisés, qui savent ce que vélo veut dire.

Répondre à cet article


Misère alerte niveau 3 (médiane)