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2 jours au marché
Le Grand Chef fait ses courses
Par Le Grand Chef , le mardi 15 janvier 2008.

Enfin, pour dire vrai, je n’avais pas de courses à faire, mais j’avais des amis mal nourris et mal habillés à accompagner pour qu’ils en fassent. J’ai fait la chose en deux temps car j’ai plusieurs amis pouilleux. Un marché le samedi, un marché le dimanche. Je vous emmène voir si vous voulez bien.

Je monte dans le pick up, je pense innocemment qu’on m’emmène à Pétionville aux "pèpè" (marché de fringues importées), mais non me dit-on, on m’emmène "en bas la ville". Aaaaaaaaaaah, joie bonheur, j’aime en bas la ville. C’est parti, trois coups de klaxon et on traverse le champ de mars, on zigzague on s’arrête sur une place jamais vue. Faut dire qu’aller en bas la ville n’est pas chose courante, rapport au bourrage de crâne sécuritaire de l’ambassade de Francie. Mais on reste pas longtemps, parce qu’en fait ce n’est pas cette ridicule petite place qui nous intéresse mais le Grand marché Hippolyte.

Hippolyte.

Il faut traverser l’avenue du bicentenaire et passer devant l’ancien institut français déchouké [1] . On longe la mer. C’est la première fois que je vois la mer de si près à Port-au-Grand-Chef. Je suis toute émue. Elle a ses reflets émeraudes comme depuis le balcon. Il y a plein d’anciens espaces publics à l’abandon qui dorment. Nous longeons le mur du port sans nous faire attraper par les bras mécaniques des grues qui pourraient confondre voiture et container. En face, enfin, Hippolyte. Qui nous tend les bras pour se faire pardonner Phèdre.

Attention en sortant du pick up, ne pas mettre les pieds dans le fatras qui gît là depuis plusieurs décennies et s’enrichit chaque jour de nouvelles bactéries incroyables et de remugles de pourriture.

Entrons. Le but est donc, si vous avez bien suivi, de trouver le marché aux vêtements (pour femmes, car le marché au vêtement pour hommes, on sait où il est, à droite en arrivant quand on tourne le dos à la mer). Les 4 gais lurons qui accompagnent le Grand Chef et le Grand Chef lui-même entrent sous les toits de tôle et de toile. La petite colonne qui fait rire les marchandes (5 blan mezanmis c’est pas tous les jours) se cogne à un mur, une marchande guide dans le labyrinthe jusqu’au marché de la viande, derrière lequel il y aura, promis, les vêtements.

On entre dans le marché des viandes. Là il faut arrêter de respirer pendant 45 seconces, sous peine de réjouir les mouches d’un vomi bien senti. 40 mouches se posent sur mes deux épaules et chantent l’hymne aux chêvres égorgées, aux boeufs équarris et aux poulets déplumés. Les vers des billots reprennent le refrain en choeur.

Ouf, sortis. On me tend un ballon d’oxygène, je le bois et je m’envole dans le marché aux vêtements. Je flotte au dessus des toiles tendues qui happent les reflets du soleil et les projettent à terre. Tendues par dessus la vue vers la cathédrale elles sont armées de fils invisibles qui barrent le front du Grand Chef (et après ça fait une marque rouge). Grises de l’orage qui fait semblant de se préparer, elles adoucissent les cris des fleurs sur les rouleaux de tissus. Puisque je n’ai rien à faire à part mettre mes mains dans mes poches et que non madame je vous assure je n’ai pas besoin de ce délicat nylon chinois contenant 5% de coton, je me fais happer pour d’autres choses que la vente. La médecine en l’occurence.

Hypocrite Hippocrate

Les seuls blancs qui mettent un pied chez Hippolyte sont les médecins cubains venus former leurs confrères et qui font grande réserve de nippes avant de s’en retourner dans leur île grande mais dépourvue de tisserands et tailleurs (pas comme Panama).

Du coup, le Grand Chef passe illico pour une cousine de la dictature d’en face. Madame, entre ses ballots de culottes et chemisiers, voudrait savoir comment faire pour ses brûlures d’estomac. Ah ah, mais il ne faut pas me la faire, je vois bien à son air de victime coupable qu’elle boit trop de café. Fini lui dis-je, fini le café. Fini le citron itou. Par contre pour les rhumatismes c’est foutu. Oui, comme pour le cancer je confirme à la voisine, le cancer hop on meurt. Je précise quand même que je ne suis pas médecin bien que d’illustre lignage.

Un attroupement se forme, je commence à calculer combien je dois faire payer la consultation. 20 gourdes sans prescription de médicament me paraît raisonnable. Mais l’idée des horreurs qu’il me faudrait entendre me fait vite reculer, surtout à la vision de la dentition du vieux corps fripé qui s’approche de mes bons soins avec une candeur dangereuse. Je récupère le sujet qui est en train de s’engueuler, en créole scandalisé, avec une marchande pour une affaire de tissu à pois jaune taché par l’humidité. Je prends les trois autres sous le bras, et on sort de là hop hop. Non sans nous être évanouis trois fois (chacun) dans le marché aux viandes (et on s’est pas approchés des poissons séchés, promis).

ça vous semble rapide parce que je raconte bien, mais on est resté au moins deux heures.

La messe des étalages

C’est dimanche, c’est biblique, c’est marché Salomon. Bien plus proche et plus petit, mais muni d’un formidable toit métallique qui abrite des tables surchargées de riz, de pourpier, de viande, de champignons à faire noircir le riz, de poissons perroquets, de farine, de maïs... mais surtout toit qui est tout garni d’innombrables toiles d’araignées tissées aux rayons du soleil et encollées avec la vapeur des bavardages mercantiles.

J’ai de posé sur la hanche droite, un ami de 2 ans et demi, blond comme moi à son âge. Arme de destruction massive pour les coeurs des marchandes haïtiennes. Je parviens à résister à la tentation et à ne pas le vendre contre un grand panier d’osier empli de petits pois écossés [2]. Je n’aurais jamais une casserole assez grande pour cuire tout ça.

Tout autour du barnum métallique le pavage des étals se disjoint mais point trop se spécialise. Chadeks entre médicaments, corrossols, shampoing et sourires attendris à mon ami qui salue comme la reine d’Angleterre. On s’approche du parasol de Madame la médecin feuille qui a établi sa botte d’herbes enchanteresses il y a de cela 37 ans dans ce marché Salomon et a donc eu le temps d’acquérir une fine connaissance des maux humains et une réputation aussi bien assise qu’elle sur son petit tabouret de bois qui fait 10 fois moins que son séant. Récolte de marjolaine, basilic, camomille, feuilles pour le bain et curcuma aphrodisiaque si jamais on cherche un mari.

Les bras chargés de science de la nature, on s’en retourne vers l’auto devant laquelle le sac trop plein perce et les oranges douces s’en vont courir dans les pieds des caniveaux et les mains aidantes.


Notes :

[1] Dechouke est une chouette tradition haïtienne qui veut qu’on défonce un bâtiment à l’occasion d’émeutes, pseudo-guerres civiles, coup d’Etat et j’en passe, symbolisant ainsi qu’on s’en prend au pouvoir établi, ou tout simplement qu’on trouvait le bâtiment vilain.

[2] J’en ai quand même acheté une poche et pendant que je vous écris tout ça je me délecte du résultat d’une cuisson patiente et mesurée, équilibrant à merveille sucre et sel pour parvenir à la quintessence du suc inimitable et doux, enrichi de beurre à la racine bien sûr

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Bagne