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Le Grand Chef sur les routes du week end
Où on croit qu’on va être tranquille à la plage, et même pas vrai
Par Le Grand Chef , le lundi 3 mars 2008.

Dès le lever du samedi matin, ça partait mal. Pas d’eau. Je tourne tous les robinets de la maison, pas d’eau. Et pourtant Grand besoin de douche, et c’était que le début du fameux week end à Jacmel.

La petite cour du Grand Chef se met finalement en route à 8h30 du matin, ce qui, soyons clairs, constitue déjà en soi un crime de lèse majesté pour un samedi.

Fête fête dans l’auto, nous partons à la plage. Sauf que, après 2 heures de route, un petit bruit de caoutchouc qui tournicote sur lui-même nous fait stopper. Au milieu d’une route de montagne. Avec vue imprenable sur notre objectif final : la ville de Jacmel.

Hop, le Grand Chef envoie chercher à manger (des bananes pesées, des accras et du griot avec des picklees) et une nouvelle courroie. Après une heure et demi et vingt coups de soleil, arrive un mécanicien pataud qui se révèlera n’en être pas un, courroie en main (on avait déjà mangé toutes les fritures). Le mécanicien entame la plongée dans le moteur, plongée rendue comique par le fait que le moteur est sous les sièges. Nous siégeons nous-mêmes au bord de la route, à faire marrer les enfants et les petites dames qui défilent, machettes ou paniers à la main. Le mécanicien compte les dents de la courroie pour vérifier que c’est la bonne.

Passe un camarade canadien. Nous voyant dans la panade, il nous cède son ordinateur, et nous commençons à regarder un film sur les pirates, avec vue imprenable sur la mer des Caraïbes et la déforestation haïtienne.

Pendant ce temps, le moteur est lentement sorti pièce par pièce pour pouvoir admirer, quel curieux, le paysage.

A bout de souffle et de pirates, nous entamons une séance de stop. Le prestige du Grand Chef allant jusqu’aux ONG catholiques, une voiture des dites s’arrête pour nous mener jusqu’à notre destination finale (qui n’en était pas vraiment une car il fallait encore prendre un bus). Le Grand Chef laisse sa confiance au conducteur de l’auto, ainsi que toute sa compassion pour les longues heures à venir.

Trêve de geignasserie, nous voilà enfin à la plage. Sauf qu’une vague mal intentionnée prise de méchanceté subite décide d’envahir le territoire chéfial et les parages amicaux, noyant un appareil photo et la totalité des serviettes de bain. Sans colère férir, nous nous mettons à table pour quelques poissons grillés. Comme le Grand Chef a de l’instinct, il mange des lambis : la moitié des mangeurs de poisson seront malades le lendemain.

Le soleil se couchant, la troupe éreintée et toujours sans chauffeur décide d’aller visiter la maison qui doit l’accueillir pour la nuit. Ainsi que le veut la tradition locale, il n’y a ni eau, ni électricité, ni gaz. Le Grand Chef prend alors la décision de boycotter les murs en dur et de dormir face à la mer, entre deux cocotiers (dont j’avais préalablement examiné la potentielle nuisance : on peut mourir d’une noix de coco trop mûre qui vous tombe non intentionnellement sur le coin du nez), sur un hamac à peine effleuré par le vent. Nuit splendide sous les étoiles à ronfler entre deux ressacs. A peine endormie que j’entendais le bruit d’un rara [1] dans la rue, chantant ma gloire, bien entendu. Dans mon sommeil, entre deux rêves de girafes (le Grand Chef rêve toujours de girafes quand il est heureux et dort bien), j’entraperçois la lune qui migre de ma gauche vers ma droite entre les grandes feuilles aiguisées de mes arbres porteurs.

Au matin, le soleil avait pris sa place.

Sous les tambours et trompettes des enfants qui se prennent pour un rara (cf plus haut, ou plus bas, selon comment vous lisez les notes de bas de page), l’accompagnement chéfial et lui-même moi-je s’en va conquérir un nouveau poisson frais, salé d’embruns. Sur la pointe de la plage, les vagues se croisent conjuguées par deux courants contraires.

Le décès de la voiture étant consommé, la troupe fait une prière posthume et se résoud à prendre un tap tap lorsqu’on lui apprend par pneumatique moderne qu’un admirateur secret du Grand Chef vole à son secours. L’inconscient pensait également pouvoir réparer feu la voiture.

Après la sieste chéfial, qui est tout ce qu’on fait de plus sacré en ce bas monde surtout le dimanche au bord de la mer quand il a bien mangé, départ vers la ville. Nous y trouvons notre sauveur que nous manquons embrasser (le retour en tap tap n’est pas réputé pour son confort). C’était sans compter l’heure et demi dans le garage à voir à nouveau les mécaniciens lutter à mains nues avec les boulons, l’huile et les courroies. 5 médecins cubains s’arrêtent pour tailler une bavette en oubliant les "s" à la fin de leurs mots.

Finalement, la troupaille se jette dans l’arrière du pick up amené spécialement pour elle de Port-au-Grand-Chef, chacun essayant de se délimiter un territoire maximum pour assurer son confort durant le voyage.

Et là ce fut joie totale. Dans le vent qui fige les cheveux à l’horizontal. Vue panoramique sur les mornes chauves, les chèvres sautillantes et les bananiers qui ne savent pas grandir comme de vrais arbres. La terre est rouge et les lacets serrés. Le ciel se décide à former le lit du coucher du soleil. il tend de grands draps roses sur un turquoise pâlot. Les jambes s’étirent et les orteils s’écartent. Derrière moi, la mer des Caraïbes, devant moi, la mer des Caraïbes. La côte se découpe comme si sa raison d’être était cartographique. Il fait froid, chacun s’emmitoufle dans sa serviette de plage (sèche). Nous dévalons les pentes abruptes jusqu’à la plaine noircie par les fumées des repas qui chauffent et la nuit tombée. La chaleur retombe sur nos épaules et s’engage dans Port-au-Grand-Chef qui bruisse de marchandes et de camions aux klaxons délurés.

Le Grand Chef se traîne jusqu’à chez lui, prend une douche, et vous écrit ses lignes.


Notes :

[1] Les raras sont des sociétés vaudous qui entament une migration musicale du haut des montagnes jusqu’aux villes à partir du mercredi des cendres et ce jusqu’à Pâques.

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Bagne