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Chronique par Benjamin S. 5 Films pour 2003
1 - Punch Drunk Love de Paul Thomas Anderson Quand on est l’homme de Fiona Apple, on est un homme heureux et certainement un homme bien. Et il est clair que ces deux qualités collent bien à PTA. On avait déjà vu dans Boogie Nights et dans Magnolia sa capacité à échafauder des histoires complexes, avec des milliers de personnages, qui vous font pleurer, juste avant le générique de fin, surtout quand on a Aimée Mann dans sa manche. Punch Drunk Love est un peu le contraire de ses films, très linéaire, très drôle, mais en même temps complètement fou, en tout cas follement romantique. Un film pas très résumable, on pourrait dire que c’est l’histoire d’un homme dont la vie compliquée est bouleversée par l’arrivée d’un piano mécanique et d’une femme. Mais il y a bien plus. Il y a des gags à en mourir, dont la mécanique rappelle Jacques Tati, par leur précision, et leur effet d’accumulation. Il y a des béances sur un autre monde, quasi Lynchien, avec cette obsession pour le pudding, ces hommes de magasins de matelas patibulaires, et da
ns le jeu étonnant d’Adam Sandler, dont on aurait jamais cru qu’il pouvait faire ça. Et enfin il y a l’histoire la plus romantique avec ce plan qu’on voit sur l’affiche, peut-être un des plus émouvants de l’histoire du cinéma (c’est un peu exagéré mais j’en pleure rien que d’y repenser). Tous les acteurs sont énormes, avec une Emily Watson sur-charmante, qui se rattrape bien après avoir raté Amélie Poulain, et les seconds rôles habituels de PTA, c’est à dire les excellents Luis Guzman et Philip Seymour Hoffman. La réalisation est à la fois très simple mais toujours adéquate, la musique parfaite. Un seul regret, il n’y a pas une once de Fiona Apple dans le film. Mais si elle sort un album en 2004, on lui pardonnera. 2 - Matrix Reloaded et Matrix Revolutions, un film des frères Wachowski. Je suppose que voir ces deux films aussi bien classés suscitera quelques surprises, parce qu’ils ont déçu beaucoup de gens, et d’une certaine façon moi aussi, parce qu’ils ne sont pas à la première place. Mais j’aime les films d’action, et je pose une question simple : y-a-t-il eu mieux cette année ? Il y a le retour du roi, très bien mais pas surprenant, un drôle de dames rigolo mais bourratif, et puis qui préfère la copie à l’original ? Il y a eu les pirates des Caraïbes, mais quand on a plus de 10 ans, on s’ennuie beaucoup. Il y a eu Kill Bill, sûrement le concurrent le plus sérieux, très beau, très divertissant mais un poil creux et surtout pas encore fini. Un Terminator 3 assez spectaculaire mais moins profond que l’Animatrix sur le soulèvement des machines, et c’est un comble de voir Terminator à la traîne de Matrix. Il y a eu Bad Boys 2 mais là j’ai eu une dispense de mon médecin. La qualité de ces deux Matrix, en tout cas à mon niveau, c’est 1 : de donner suffisamment d’éléments de réflexion pour qu’on puisse se creuser la tête dessus à l’envie, et écrire des centaines de pages, et 2 : de proposer un nombre conséquent d’images marquantes : que ce soit les frères fantômes qui attaquent dans le garage avec la musique disco, la baston au trident dramatiquement complètement inutile mais époustouflante visuellement, la scène de l’autoroute, Neo qui vole tellement vite qu’il entraîne les bagnoles derrière lui, la scène dans les chiottes avec Persephone etc. pour Reloaded, l’attaque des sentinelles, le visage composé de machines, la baston finale avec les agents Smith qui regardent la scène par la fenêtre (une séquence assez inspirée du clip " Only You " réalisé par Chris Cunningham pour Portishead) etc. pour Revolutions. Il y a bien des fautes de goût évidentes, comme la pub Perrier dans Reloaded (même si on pourrait presque la défendre), ou la mort de Trinity dans Revolutions (désolé pour le spoiler si vous l’avez pas vu). Et il y a bien des raccourcis un peu tristes, par exemple comment est mort Dozer, comment l’oracle s’est-elle fait amocher, et surtout pourquoi Neo ne peut plus faire exploser les agents et surtout l’agent Smith comme dans Matrix, et pourquoi il peut avoir des pouvoirs dans le monde réel ? Toujours est-il que ces deux Matrix, et surtout Reloaded agissent d’une façon assez perverse : on est pas forcément impressionné sur le coup, mais tout le reste paraît fade en comparaison. C’est un peu la définition d’un classique. 3 - Le voyage de Morvern Caller, un film de Lynne Ramsay Il y a des performances d’actrices qui marquent. Par exemple, après Accords et Désaccords, tout le monde (enfin ceux qui avaient vu le film) avait le nom de Samantha Morton sur la bouche, avec son jeu géniale de fille muette. Ensuite pas grand chose, un rôle pas mal dans Minority Report, mais c’est pas la gloire. Et puis arrive ce film, qui remet les pendules à l’heure : Morton est une actrice incroyable. Heureusement d’ailleurs, sinon le film ne marcherait pas, parce qu’elle est partout, c’est son histoire, un rôle culte. Toutefois, il y a une chose qui ne dépareille pas avec les films cités précédemment : c’est une performance quasi muette. Le roman d’Alan Warner dont est tiré ce film était extrêmement bavard : Morvern, en monologue intérieur quasi constant, racontait ce qu’elle voyait. D’ailleurs le roman s’appelle Morvern Callar tout court, parce qu’il n’y a de place pour rien d’autre en lui. Mais le cinéma, c’est visuel. Et la réalisatrice s’est refusée ce luxe Scorcesien, la vo
ix-off. Il y a donc des moments de silence intense, parce que le personnage est pour le moins taciturne. Et les premières minutes sont assez éprouvantes, avec ce cadavre éclairé aux néons d’un hôtel voisin. Ensuite, Morvern écoute son walkman, et là bonheur, le son est merveilleux : le film baigne dans la lumière du Spoon de Can, et la musique a été modernisée avec bonheur par rapport au bouquin, au lieu d’écouter Miles Davis et de la rave, Morvern se laisse aller sur du gros son Warp, de Boards of Canada à Autechre. Un film pas bavard mais sonore. Enfin, il y a ces images incroyables, ces fêtes comme jamais j’en avais vu au ciné, ou on sent le poids de l’alcool, des gens qui vont vomir dans les chiottes, le sexe confus, et les dérives nocturnes. On pense un peu aux photos du livret du premier Alpha, chaleureux mais sale. Ensuite Morvern part en Espagne, le film devient soleil, encore plus muet, presque mystique. Bref, une actrice géniale, une bande-son énorme, une mise en scène pui
ssante, pour un film très déroutant, pas vraiment aimable, mais qui mérite qu’on fasse un effort. 4 - Dark Water, un film de Hideo Nakata. Dark Water est un film de transition pour Nakata, entre l’horreur et le mélodrame. Le problème qui risque de se poser, c’est que pour ce que j’en ai lu dans les Inrocks (ça vaut ce que ça vaut), le dernier Nakata, pur mélo, est assez naze. Donc méfiance. Mais Dark Water, c’est du bon. Une histoire de fantôme assez simple, avec un immeuble délabré, une femme et sa fille dans une situation à haute tension (un divorce), et au milieu de tout ça, une tâche qui n’en finit pas de grandir au plafond. Le film peut se prendre à plusieurs niveaux, mais je crois que c’est en le prenant au premier degré qu’il est le plus intéressant. Donc pas un film sur le suicide, mais sur les arrangements à faire avec les morts. Un film très patient, qui contrairement à un slasher, n’aligne pas les scène de tuerie, mais construit son angoisse, fait monter la tension, jusqu’à un final apocalyptique et terrifiant. Un film très beau aussi, sur l’amour d’une mère pour sa fille, sur l’angoisse du commencement d’une
nouvelle vie.
5 - Le retour du roi, un film de Peter Jackson Le problème de ce film, c’est qu’il est en continuité des 2 autres. L’autre problème c’est qu’il n’est pas du tout surprenant parce qu’à peu près tout le monde susceptible de voir le film a déjà lu le livre. Pourtant, on est presque obligé de constater la maîtrise à l’œuvre dans ce film. Esthétiquement superbe, avec par exemple les plans des torches entre le Gondor et le Rohan, et toute la fin, absolument superbe, très bien rythmée, quitte à virer des passages, le film se focalise sur la lutte contre Sauron, quitte à zapper Saroumane. Une bonne idée quand on voit la difficulté de Matrix Revolutions à démarrer, empêtré dans son histoire avec le Mérovingien. Ici, l’enjeu est clair : on termine l’histoire, avec au menu, batailles épiques, amitiés mises à l’épreuves, crises de folie, et un anneau qui pèse bien lourd. Un film qu’on reverra avec plaisir, un vrai film populaire, qu’on hésitera pas à montrer à ses enfants dans 10 ans, même si d’ici là les trucages sembleront peut-être aussi da
tés que ceux de Sinbad. Quelques films dignes d’attention à part ça, sans classement particulier : les gros films attendus et pas décevants comme Gangs of New York, Kill Bill, ou le monde de Nemo, les petits films surprises comme Loin du Paradis de Todd Haynes ou Vivre me tue de Jean-Pierre Sinapi ou même Kaena, et les confirmations de grands réalisateurs comme Elephant de Gus Van Sant, Dogville de Lars Von Trier ou Zatoichi de Kitano.
Enfin quelques navets pour la fin : Les clefs de bagnole de Laurent Baffie, insupportable car non assumé, Swimming Pool de François Ozon, plus creux qu’une casserole, ou It’s All About Love, insupportable film de merde de Thomas Winterberg.
Mais dans l’ensemble on a toujours eu de quoi passer une bonne soirée. Enfin, pour terminer, une mention spéciale à Virginie, un film de Martin Cognito avec Tiffany Hopkins et Mélanie Costes (aucun rapport avec la haine dans ton cul), qui ne révolutionne peut-être pas le genre pornographique, mais séduit par son univers visuel fort et claustrophobique, et ses partis pris osés, avec une scène gay et une scène de soumission particulièrement marquante. Un bon film pour réviser ses a-priori sur le nopor, comme les deux autres films de Cognito, ou comme les films des autres grands réalisateurs X, comme Kris Kramski, James Avalon, John Leslie, Francis Leroy, les frères Mitchell ou Jean-Pierre Léaud (les bouts de films qu’on voit dans le pornographe de Lucas Belvaux donnent envie d’en voir plus).
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