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Speed Racer

Par Benjamin S., Jeuniste du prix et de la mornographie , le vendredi 4 juillet 2008.

L’argent a-t-il une odeur ? Peut-on dépasser les limites du corps humain ? Est-il légitime de confier le divertissement de nos enfants à des geeks ? Speed Racer est la réponse à toutes ces questions.

Speed Racer, un film des frères Wachowski.

Les frères W sont-ils de gauche ? Cette question, posée après la vision des suites de Matrix, avait plongé les fans dans l’embarras. Résumons : Matrix : Neo gentil rebelle, tue les méchants capitalistes en costard cravate, et s’envole en écoutant du Rage. Tout le monde est content. Matrix Reloaded : Neo apprend qu’il a beau avoir la rage, il fait quand même partie de la machine. Les boules. Matrix revolution : Neo se sacrifie en devenant lui-même une machine, ou le christ, on sait pas trop. Comprend plus.

On était d’ailleurs bien embêté après leur relecture de V pour Vendetta, plus démocrate qu’anarchiste. On pouvait même se demander : et si les Wachowski étaient les premiers rebelles centristes ?

Mais la vérité, c’est qu’au fond, les frères W se foutent bien de la politique. Avant d’expliquer pourquoi, je vais faire rapidement une critique classique du film.

Speed Racer est un film qui amplifie toutes les qualités et tous les défauts de la trilogie Matrix (je ne parle pas de Bound car je m’en souviens mal).

Qualités : les scènes de voiture sont incroyables, démentielles, bestiales, du jamais-vu, et comme elles représentent les deux-tiers du film, c’est plutôt bonnard. Le film regorge d’une énergie incroyable. De façon exemplaire, l’incipit pose les bases de l’histoire avec une vigueur, et un enthousiasme comme j’ai rarement vu. L’esthétique est incroyable, malgré les craintes liées aux bandes-annonces : si vous n’êtes pas allergique au papier peint orange, allez-y. Il y a Christina Ricci. Je suis amoureux de cette actrice depuis que j’ai dix ans. Donc, Christina Ricci dans un hélico, une bagnole, ou qui donne des coups de tatane, je suis pour (comme dirait Sardou).

Défauts : C’est trop. Le scénario est trop beaucoup. On pourrait en faire une ou deux saisons de la série TV. Un homme normalement constitué risque d’avoir un coup de mou aux abords de la dernière course. Ce serait dommage. Autre conséquence : les personnages des méchants sont schématiques : look d’enfer, mais personnalité absolument pas développée. Le dernier concurrent, le grand champion, n’apparaît que dans une scène avant le dénouement, c’est peu pour poser des enjeux narratifs. Autre défaut : la mollesse et la platitude des dialogues des frères W fait encore des ravages. Si on en est pas aux extrémités de Matrix Reloaded, force est de constater qu’on s’ennuie parfois un peu.

Enfin, je ne sais pas si c’est une qualité ou un défaut : film familial oblige, le héros a un petit frère gras du bide, qui plus est meilleur ami d’un singe. Ce personnage, détonateur de gags incroyablement lourds, est de plus joué par un gamin incroyablement cabotin, qu’on a immédiatement envie de tuer. Et pourtant, de par sa volonté forcenée de voler la vedette, de pourrir la narration du film, il dégage un côté anar bien sympa.

Bref Speed Racer, c’est beaucoup, c’est même sûrement trop pour le commun des mortels. Peut-être est-ce la raison du bide incroyable du film (60 000 entrées France en première semaine, c’est ridicule). Ca et le fait que personne ne pensait que voir F-Zero sur grand écran pourrait être aussi intéressant.

Fin de la partie critique. Si vous êtes fatigués, faites la pause ici.

Sinon, on reprend la question : alors les Wachos, à gauche ? On peut le penser, vu le discours au premier abord incroyablement manichéen : d’un côté le méchant capitaliste à la tête d’une multinationale : vous n’avez jamais vu un grand patron jouir en roue libre de sa méchanceté avec plus de jubilation que Roger Allam. De l’autre côté, une petite entreprise familiale indépendante (et oui, on est aux Etats-Unis, marxisme connais pas)

Et pourtant, la force du capitalisme qui ruine les rêves (la course truquée, idée géniale qui donne à sentir en quelques minutes tout l’impact du sport sur le peuple), qui fait que la victoire se change en défaite.

Mais au final, le film n’est ni à gauche, ni à droite. Ni pute, ni soumis. Soyons plus précis : les frères W ne sont pas des militants, ce sont des hommes qui rêvent d’être des machines. Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi Néo, au lieu de défendre Zion (après tout il peut détruire les machines par la force de son cerveau), préfère se diriger vers le pays des méchants. C’est qu’il a compris que l’avenir se jouait là, dans la fusion. Speed Racer ne parle pas d’autre chose. Car de quoi parle le film, sinon d’un gars qui apprend à écouter sa voiture, à lui donner ce qu’elle veut ? En échange, elle lui donnera cette vitesse pure à laquelle son nom , Speed, le programmait, au terme d’une séquence psychédélique d’une intensité terrifiante. On pourrait penser au segment d’Animatrix sur le coureur de 100m, qui, parce qu’il dépasse les limites du corps humain, sort de la matrice. Mais on ne le fera pas, car cette scène détruit tellement le cerveau qu’elle empêche de penser pendant au moins une demi-heure (true story).

Au fond, les Wachowski sont beaucoup moins naïfs qu’ils ne le laissent croire. Evidemment, les capitalistes ne sont pas que des salauds. Ce serait quand même particulièrement gonflé de la part de gens qui font un film à 150 millions de dollars, avec des pubs partout et payé par un partenariat avec une chaîne de fast foods.

Simplement, pour les Wachowski, le capital est ambivalent : d’un côté il vous vole votre rêve (la course mythique était truquée, Joël Silver est un salaud qui a volé le script des gentils Wachowski pour faire l’affreux Assassins avec Stallone), de l’autre, il le rend possible (c’était malgré tout une course fantastique, et le père ne peut pas accepter l’idée qu’il y ait eu tricherie, et après tout Joël Silver a bien financé Matrix). C’est qu’il y a deux mondes : celui des financiers, et celui des pilotes. Les financiers mettent de l’argent dans les voitures pour que ça rapporte. Et après tout, c’est bien légitime. Les pilotes, eux, ne pensent qu’à conduire. Et les Wachowski, eux, ne sont fascinés que par l’image. Alors, qu’importent les compromissions, tant qu’on peut fusionner avec la caméra, repousser les limites de l’exagéré, et ramener de l’informe, s’il le faut (putain la scène du tunnel avec le zèbre, c’est juste l’orgie).

Au fond, pour les frères W, comme pour Speed, il n’y a qu’une politique possible, celle du mouvement.


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