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Des hommes - Laurent Mauvignier - 2009

Par Benjamin S., Jeuniste du prix et de la mornographie , le mercredi 26 mai 2010.

« Et pourtant, est-ce que je lui ai raconté des choses de là-bas ? Est-ce que quand je suis revenu de là-bas j’ai pris le temps de dire,

Nicole, tu sais, on pleure dans la nuit parce qu’un jour on est marqué à vie par des images tellement atroces qu’on ne sait pas se les dire à soi-même »

Un anniversaire à la campagne, comme beaucoup d’autres. Solange fête ses 60 ans, tout le village est convié. Mais la fête sera gâchée par le comportement de Feu-de-bois, son frère, marginal alcoolique et sale, qui cette fois ira trop loin. Rabut son cousin, en tant que représentant du conseil municipal, devra venir le voir, le lendemain, avec la gendarmerie. Mais ce soir, il pense à tout ce qui s’est passé, tout ce qui a fait que Bernard est devenu Feu-de-bois, et que sa vie elle-même n’est pas vraiment ce qu’elle en a l’air. 

Difficile de résumer l’argument de Des hommes sans gâcher l’effet de surprise, tant le livre est basé sur des parties très développées (le premier chapitre fait 70 pages), et tant son coeur ne se dévoile que peu à peu. Cette construction n’est pas l’aveu d’une faiblesse d’écriture, une façon de tirer à la ligne, mais au contraire le symbole de ce dont parle vraiment le livre : la difficulté à comprendre, et à dire ce qu’on a vécu, et qui fait que le passé (pour reprendre le cliché), ne passe pas. Un livre sur la guerre et ses conséquences sur ceux qui l’ont faite, comme un Voyage au bout de l’enfer français.

Plus qu’un livre sur la guerre d’Algérie (ce qu’il est aussi, avec tout ce que cela implique en terme de scènes horribles), Des hommes est un livre sur le silence qui lui est lié. Un livre où chaque événement se répond : la lente montée en tension de la scène inaugurale répond à celle de la boucherie finale, les querelles entre Rabut et Feu-de-bois prennent un sens radicalement différent au fur et à mesure qu’on en apprend davantage, qu’on voit leurs personnalités, sous quels angles ils ont vécu la guerre, comment l’un a pu faire semblant d’être resté normal et pas l’autre.

Le livre entier est un effort pour comprendre l’incompréhensible, un effort d’autant plus radical que les personnages ne sont pas armés pour cela. Paysans du fond de la France, découvrant le monde extérieur pour la première fois, nos « héros » sont jetés dans une guerre dont ils ne saisissent pas les enjeux et vivent dans l’attente et une angoisse continue.

Le style de narration est original et parfaitement adapté à l’histoire. En utilisant le discours indirect libre, et des phrases heurtées, Laurent Mauvignier réussit à être à la fois dans et hors les personnages, comme s’ils étaient extérieurs à eux-mêmes.

L’agencement des situations rappelle le processus d’une psychanalyse : d’abord le coup de folie, qui sert de symptôme, ensuite la recherche patiente de la raison du traumatisme. Le narrateur commence par les circonstances, un peu superficielles, il aimerait dire ce qui leur a fait mal, mais il ne peut pas, et puis finalement, les défenses psychiques cèdent, et le passé peut surgir, dans tout ce qu’il a de pire. Mais parce que la guerre d’Algérie, « ce n’était pas Verdun » comme le disent les anciens du village, les personnages savent qu’ils ne pourront jamais parler de ce qu’ils ont vécu, et toute libération par rapport à ces traumatismes ne peut être que très limitée. Il n’y a pas de paix possible, juste le sentiment d’une vie gâchée.

Le livre évite tout angélisme. Feu-de-bois n’est pas un Rambo, une machine à tuer détruite par la guerre, mais un homme frustre, rongé par la jalousie, presque directement responsable de son malheur, tout en restant un simple jeune homme de 18 ans, coupé net par un malheur trop grand pour être porté.

C’est cette complexité de points de vue, alliée à la puissance de l’écriture, qui fait de Des Hommes un livre si fort.

Pour en savoir plus :

Un entretien vidéo proposé par la librairie Mollat

Un entretien vidéo proposé par la librairie Dialogues

Une revue de presse assez complète sur le site des Editions de Minuit


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