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Grizzly Man
Voici un film qui paraissait alléchant : signature de Werner Herzog dont j’ai souvent entendu du bien (Aguirre, etc). N’en ayant jamais vu, je me suis dit : allons donc.
Eh bien non. Je me suis retrouvée en fait devant un documentaire semi psychologisant mais fuyant - et surtout, un docu qui frise selon moi l’indécence et le regardage de cul : Herzog fasciné (obsédé) par son sujet, c’est certain. Mais encore faudrait-il l’assumer. C’eut été se priver de bonnes images et de bons vieux commentaires moralisateurs sur les frontières naturelles (ah la nature ! ce qu’on lui fait pas dire).
Moi je dis simplement que sa mort est conforme à la vie que Tim Treadwell s’est choisie. Une mort n’est jamais drôle [2], mais je ne vois pas de quoi tirer grande fascination. J’y vois plutôt de la tristesse. Pour la dame. Pour Treadwell et sa folie douce de dépressif au grand coeur. Pour les ours, parce que leur habitat fut dérangé pendant des années par un trublion agité qui méconnaissait totalement les principes de base de l’observation de la nature. Alors voilà, Treadwell est mort de son "choix de vie". L’histoire, là voilà : alors qu’il quittait la réserve, ses heures de film sous la main, l’accès à l’avion lui est refusé pour un visa dépassé. Tim y voit la confirmation de sa marginalité : la société ne veut pas de lui, qu’à cela ne tienne, il s’en retourne chez ses ours. Fatale erreur car la saison était terminée. Ses ours partis hibernés, d’autres avaient pris place, plus agressifs et totalement inconnus de Treadwell. Ce sont eux qui le mangeront, lui et sa petite amie, sous l’oeil fermé de sa caméra en marche (le cache). Mais le son fonctionnait. Peut-être que finalement la grande fascination tient à ce détail : la caméra, le cache, le micro. Si c’est cela, c’est bien pitoyable, je dis. Le documentaireLe propos ne m’a pas paru réellement biographique. Pourtant la caméra ne montre que Treadwell, filmé par lui-même lors de ses expéditions, parmi des heures et des heures de film où l’on peut supposer que les ours tiennent en réalité la première place. Il y a alors une espèce de foi infaillible dans la vérité des images : quand Treadwell se ridiculise (vérité des longs longs plans séquence) à déclamer I love you à toutes les bêtes qui passent sur son chemin, ou quand il pète un plomb à insulter pendant un quart d’heure les motherfuckers (qui sont absents) qui complotent dans son dos et dans le dos des ours, alors là, oui, les images sont invitées à parler d’elles-mêmes, comme on dit : ce Treadwell est fou, se répéte-t-on à l’envi. 10 minutes de plan séquence à voir un illuminé insulter la pluie ursicide qui ne vient pas, puis 10 autres minutes à le regarder se congratuler sans fin sous la tente car le déluge, véritable miracle, est finalement venu quelques jours plus tard.. vraiment, Herzog a bien raison de faire un doc où les images parlent d’elles-mêmes.Mais cela ne suffit pour faire un docu de 1h45, même avec le plus fêlé des fêlés [3]. Alors exit le montage des pelloch de Treadwell, et passons à l’enquête du documentariste : interviews des proches, interview du légiste, interview d’un conservateur d’un musée inuït. On est bien content sauf qu’ils n’ont rien à nous apprendre si ce n’est ce que l’on sentait déjà : Treadwell est un hyper sensible inadapté à la société, dont il se sent à part et dont il se méfie. Mais parce que c’est un hyper sensible, il a de l’amour à revendre - et ça tombe sur les ours de cette Réserve naturelle. Ses proches témoignent d’un respect affectueux envers cet homme excessif que les images accablent. Le légiste quant à lui est l’occasion d’une grande scène de description du massacre, peu nécessaire à mon gout. Et l’on se régale, à longueur de critiques, de constater une fois encore le pouvoir de suggestion, qui serait bien supérieur à celui de l’explicite. Bon. Nous sommes donc venus voir ce film pour avoir de la big émotion ? Je n’avais pas compris cela. Parfois, encore, Herzog se sent le devoir de faire retentir sa voix de documentariste. Ses commentaires endossent alors le rôle de l’explication. Et pourtant ce qu’il dit n’est qu’opinions, et en l’occurrence pour moi tout à fait contestables. Je n’ai pas aimé son ton moralisateur sur les frontières de la nature. Je n’ai pas aimé son ton faussement pudique sur la bande-son à détruire. Je n’ai pas aimé son regard d’homme intégré dans le monde sur cette aventure humaine marginale (peu recommandable il est vrai). S’il fallait en faire un film (on dit que Di Caprio y songeait), ce n’était à mon sens pas ainsi : ici, le spectateur rit au risible, condamne ses erreurs et n’apprend rien. Le spectateur reste toujours un spectateur bien sûr de ses acquis. Super. Cela étant dit : de belles images et quelques étonnements : on s’émerveille forcément à la vue des renards compagnons de Treadwell. Et l’on songe à l’ami du Petit Prince avec poésie [4]... Mais dans l’ensemble, quelle vacuité.
[1] J’ai peut-être l’air énervée, mais j’ai lu les secrets de tournage sur Allociné. "C’est pour moi une question de décence" affirme Herzog, pour justifier son choix de ne pas mettre la bande-son du massacre dans son documentaire, mais de seulement filmer sa réaction d’effroi à lui, lorsqu’il l’écoute. Délicieuse mise en abîme de voyeurisme borderline ? D’autant plus indécent qu’ensuite, il demande au légataire de cette bande, dans un grand ton de sage conseil de Celui qui a vécu, de la détruire. Alors qu’on me parle pas de décence. C’est des mots que Guernaouelle aime pas qu’on joue avec. [2] surtout si l’on considère la petite amie qui fut entraînée dans ce festin bien malgré elle, car les ours, elle, elle en avait peur et les aimait guère [3] Et puis avec la Télé réalité, nous sommes déjà bien habitués [4] Et l’on songe au conservateur inuït : habituer l’animal qui vit en milieu sauvage à la présence humaine, c’est le vouer à sa perte...
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