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Third
Portishead : Third A quoi sert une critique ? En général une critique est un article où un journaliste donne son avis sur une œuvre d’art à un public. Tout l’intérêt vient de ce que le journaliste a accès à l’œuvre, et pas le public, soit parce que l’œuvre n’est pas encore disponible, soit parce qu’il ne l’a pas encore achetée. D’où la question : pourquoi parler de third aujourd’hui ? Le disque est sorti depuis déjà quelques temps, est même disponible sur deezer, mettant tout le monde au même niveau. De plus, Portishead est un groupe avec une telle notoriété et l’album si attendu (11 ans, c’est long) que deux cas de figures semblent exister : soit, comme moi, vous l’avez acheté le premier, soit vous vous en foutez. D’autant plus que ce disque là a ceci de particulier qu’il est plutôt difficile à apprécier, ne se donne qu’à ceux qui prendront le temps de bien l’écouter. Alors, ma critique a bien un rôle : vous amener à réécouter un disque que peut-être vous avez laissé de côté. Et puis, de toute façon, je suis pas payé pour ce que je fais, alors je parle de ce que je veux. En plus à Haïti, le Grand Chef ne l’a pas forcément écouté et agir pour le Grand Chef est agir pour le plus grand bien, donc il faut cette critique. Bref, onze ans d’attente, durée extrêmement longue qui suscite les attentes les plus folles, d’où obligatoire déception. Pour éviter de rejoindre le sort peu enviable du Fragile de Nine inch nails, de la menace fantôme de George Lucas ou du dernier Indiana Jones, les anglais ont choisi d’utiliser un paratonnerre, en entamant le disque par les bonnes paroles d’un professeur de capoeira. On est bien sûr étonné parce que l’on a pas l’habitude d’associer la bnalieue de Bristol au soleil du Brésil. Pourtant, le début, instrumental pendant au moins deux minutes, est gorgé de rythme : ça bouge ! Puis vient la voix de Beth Gibbons, pratiquement a cappella, pour qu’enfin les deux se retrouvent. Quand cela est fait, le morceau peut s’arrêter, abruptement d’ailleurs. C’est qu’on a compris quelque chose d’essentiel : une énergie rock traverse le disque : fini les boîtes à rythme et les scratches, fini les orchestrations à la John Barry, place à une instrumentation guitare / batterie, inhabituelle chez ce groupe, et qui trouve son point culminant dans le furieux we carry on, qui achève tout ce qu’on a pu entendre chez Clinic. Ne pas comprendre que le groupe y a perdu sa mélancolie légendaire : d’abord parce qu’on imagine mal Beth Gibbons chanter la macarena. Il n’y aura même rien pour nous rappeler la grande chanteuse de soul qu’elle a su être sur le morceau Tom the model de son album solo. Encore une fois, les paroles sont d’une grande tristesse, où même la joie semble être une erreur (« I don’t know what I’ve done to deserve you, and I don’t know what I’d do without you ») et où tout se termine en incompréhension (« I never had the chance to explain exactly what I meant »). Ensuite parce qu’on a vu que même sorti de Portishead, ses membres aiment la tristesse, dans un spectre allant de la mélancolie au glauque perturbant. On a ainsi vu Geoff Barrow produire un album très classe pour The Coral, signer sur son label le groupe Crippled black phoenix (le nom est programme), pendant qu’Adrian Utley allait faire entendre sa basse aux côtés d’Alain Bashung (Fantaisie militaire). On les a surtout vu programmer au all tomorrow’s party des joyeux drilles tels que Earth (le groupe du mec qui a tué Kurt Cobain), Sunno))) (les moines qui font une heure de larsen à faire vibrer la cage thoracique) ou Françoiz Breut (la chanteuse française la plus classe du monde). Résultat : des guitares qui semblent prendre source chez Slint, et se jeter dans des larsens ou des synthés tout droit venus d’un film de John Carpenter. Pourtant, malgré toute cette noirceur, Third est un disque profondément harmonieux. Peut-être est-ce dû à un chant tout en retenue (même si, quand même, sur le final, elle aurait pu trasher un peu plus : peut-être se garde-t-elle pour les concerts). Ou peut-être, tout simplement, l’obsession qu’avait Portishead de créer un nouveau son, de rompre avec les autres albums, n’impliquait pas la mise de côté de la recherche de la mélodie parfaite. Et quand on entend le synthé émerger de et se mêler à la voix de Beth Gibbons pour ne former qu’une seule entité bouleversante sur The Rip, on se dit que cette recherche n’est pas loin de trouver sa fin. Ainsi, Third est un disque à la fois mélancolique, acide, tranchant et harmonieux. Un disque rempli de tubes potentiels, sans jamais céder à la démagogie. Le Brésilien du début ne dit-il pas : « tout ce que vous donnez, vous l’aurez en retour » ? Donnez un peu de votre temps, et vous aurez un grand disque en retour. Ne valait-ce donc pas le coup d’attendre onze ans pour cela ? Liens utiles : l’album en ligne
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Mes oreilles sont cassées
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