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Mémoires d’un platane, épisode 3

Par Benjamin S., Jeuniste du prix et de la mornographie , le lundi 11 février 2008.

Où François cherche l’amour. J’ai intégré une playlist pour écouter avec. Pour profiter pleinement de l’expérience multimédia,cliquez sur le morceau quand son titre est indiqué dans le texte.

14 Février, François

free music

Musique : Marilyn Manson : Valentine’s day

C’est la Saint-Valentin aujourd’hui, qui est une fête toujours frustrante quand on est seul. Pourtant, il y a dehors des milliers de femmes parfaitement désirables. Simplement, mon cœur de cible est constitué d’adolescentes de quatorze ans. A cet âge, on ne sait pas ce qu’est l’amour, et puis au niveau mammaire, mes exigences ne sont pas remplies.

De toute façon, la célébrité liée à la radio n’amène rien, car qui peut vous reconnaître dans la rue ? Dans l’ensemble, j’essaye de ne pas dévoiler ce que je fais, car les femmes que je cherche sont effrayées par mon métier. Le fait que je contribue à l’effort national d’abrutissement de la jeunesse n’y est sans doute pas indifférent.

Ce Mercredi, il n’y a rien à faire. Les rues sont en fleurs, les jeunes filles aussi. Je suis fatigué. Allongé sur mon sofa depuis que je suis rentré, je pense à la femme de mes rêves. Mais j’ai beau y penser, c’est comme si elle se refusait à moi. J’aurais du mal à dire si elle est blonde ou brune. Gros ou petits seins. Catholique ou sataniste.

Musique : Smiths : Please, please, let me get what I want.

Peut-être est-ce parce que l’amour n’est pas tant une question de personne que de relation. Les couples que je connais ont tous l’air si naturels, qu’on ne les imaginerait pas séparés. Pourtant eux aussi ont cherché, sans forcément savoir quoi. Je pense que c’est la raison pour laquelle les coups de foudre existent. C’est comme des legos, deux personnes qui s’emboîtent parfaitement, et je ne parle pas que de sexe. Evidemment, c’est pas si simple. Parfois, les deux parties s’imbriquent mal alors on s’acharne, on tape au marteau. Parfois, avec le temps, les pièces prennent du jeu et ne tiennent plus ensemble. Hors de la métaphore : quand on commence à s’engueuler plus souvent qu’on fait l’amour, c’est mauvais.

Sauf si on est sado-maso.

Mais c’est pas moi.

Je ne sais pas quelle femme me conviendrait. Je sais simplement qu’elle ne s’est jamais présentée. Ou du moins, pas longtemps. Parce qu’on change et que l’amour est un équilibre fragile. Parfois, on tient deux jours, parfois trois ans, mais un moment arrive où la gravité intervient. C’est le moment où il faut partir.

De même, morfalé sur mon sofa depuis deux heures ; cela suffit. Même s’il est confortable. Il faut sortir. Question : où ? Les bars à la mode, je les ai tous faits, tout le monde m’y connaît, surtout les femmes. Si je passe pour un dragueur, je n’arriverai à rien. Non, il me faut du nouveau, avec une autre ambiance, un autre type de femmes. Cherchons.

Dans la rue, je ne sais pas trop où aller. Il fait froid, donc j’aimerais ne pas avoir à trop marcher. Cela tombe bien car, étant toujours sorti, je connais mal mon quartier, donnant une certaine dose d’exotisme à mon périple, limité par le fait que la nuit, toutes les rues se ressemblent. Alors j’avance, et j’éteins mon cerveau. Je me chante les derniers tubes pour m’exaspérer, et me forcer à rentrer dans n’importe quel lieu duquel sortirait du son.

Musique : Koxie : garçon

Après avoir circulé dans un dédale de rues, je suis rentré dans une zone qui m’était inconnue. Comme dans un vieux château-fort, où l’on touche une pierre pour passer derrière le mur et rejoindre, soit une salle au trésor, soit un passage secret moisi conduisant aux douves. Moi, je n’étais ni en enfer, ni en paradis. Juste une rue un peu humide, avec un bar qui a une odeur de tabac. Fatigué, je décide d’entrer. En plus, un signe de bon goût qui ne trompe pas : ça s’appelle le twenty-two bar.

Musique : Dominique A : le twenty-two bar

Comme promis, au twenty-two bar ce soir-là, on dansait. Une dizaine de personnes. Ambiance plutôt chanson française. Mobilier un peu rustique avec du bois, des chaises avec des coussins couleur pourpre. Le tout a l’air un peu ancien, ce qui n’empêche pas l’espace d’être bien pensé. Un coin danse, un coin picole avec un sol rembourré pour ceux qui tombent de leurs chaises, un coin discussion, un peu à l’écart, où la musique est moins forte. Dans le respect de chacun, donc.

Le coin discussion est bien sûr le moins rempli. L’une des raisons pour lesquelles j’ai du boulot, c’est que les gens sont paradoxaux. Ils aiment être ensemble, mais n’ont rien à se dire. Alors, ils vont là où c’est fort. Bonne musique ou pas, cela n’a pas d’importance. Pour la plupart, il n’existe aucune différence entre les deux. Etre là, crier de temps en temps pour se dire des banalités. Ne surtout pas se sentir isolé. Passer un bon moment. De temps en temps, certains se lèvent pour se déhancher. Moi, je suis trop fatigué pour cela. Je ne doute pas de mon twist, mais il est encore trop tôt pour le montrer.

D’abord, direction le comptoir, évaluer les forces en présence. Le bar est plutôt bien rempli, et qui dit chanson française cool sympa, dit beaucoup de demoiselles. Peu sont seules car les jolies femmes sont très courtisées. Bien sûr. Malgré tout, il y a du choix. Mon enthousiasme revient. Problème, la séduction est un art délicat : on a qu’une chance par zone du bar, après quoi, on est grillé auprès de celles qui vous ont vu. Il ne faut donc attaquer que si l’on est sûr de vaincre. De plus, je suis devenu exigeant avec le temps. J’ai épuisé tous les types de chicas : blondes, brunes, bronzées aux UV, teufeuses, sages, maigres ou dodues. Pas tant pour elles-mêmes que pour savoir. Comme un explorateur de la gent féminine.

Hum, hum. Un petit verre pour me mettre les idées au clair.

A présent, je cherche quelqu’un de différent. Parce que j’ai l’impression de ne m’adapter à personne. Je colle pas. Alors il me faut qui ne ressemble à personne.

Justement, rapidement, je la vois. Assise seule dans le coin conversation. Au premier abord, plutôt banale. Brune, assez grande et maigre, mignonne sinon je ne l’aurais pas remarquée. Habillée de noir.

Ce détail a son importance. La façon dont les gens s’habillent dit beaucoup sur eux. Pour beaucoup c’est une façon de s’accrocher à un groupe, consciemment ou pas. La majorité achète ses vêtements au même endroit. Fans de métal portant des t-shirt surchargés de cranes et de sang, fans de Céline Dion habillées rose bonbon, clichés qui se révèlent malheureusement bien souvent vrais.

Habillée de noir, donc. Dans un lieu cool sympa, joyeux. Avec sa clope à la main, qu’elle fume lentement, on dirait une vamp tirée d’un film des années 40. Elle a l’air de tourner le dos à tout le monde, comme si elle n’avait besoin d’aucun spectateur pour son cinéma.

La meilleure façon de séduire, c’est de faire croire qu’on a besoin de personne. Donc, évidemment, je vais la voir. Mais je ne sais pas trop quoi lui dire. C’est compliqué de parler à quelqu’un qu’on ne connaît pas. Première chose, s’assurer qu’elle n’attend personne, demander si on peut s’asseoir là. J’ai de la chance, elle accepte. bon début.

Et puis, comme je suis fatigué, je décide de lui expliquer très ouvertement pourquoi je suis venu la voir, en lui expliquant l’aura très particulière qu’elle dégage, ce mélange de coquetterie et de détachement. Pendant que je lui parle, je remarque des broderies sur sa robe. Noires sur noires. Des fleurs, des grandes roses, avec de grandes épines, qui s’entremêlent. Vraiment du très bon travail, pratiquement invisible. Quand je vois ça, je m’arrête, parce que c’est très intéressant. Je ne pense même plus à la sauter. Simplement curieux.

Pourquoi une telle robe ? Qui l’a faite ?

"Moi. Je l’ai faite moi-même. Pour moi. J’aime beaucoup cette robe.
-  Je ne comprends pas bien. Quand on s’habille, on le fait toujours par rapport aux autres. Alors pourquoi ces broderies ? On ne peut pratiquement pas les voir !
-  Oui, oui. J’ai appelé cette robe : amour secret car pour la comprendre, il faut être à distance d’un baiser. J’en ai une autre qui s’appelle « beauté intérieure », où les décorations sont à l’intérieur. Ce n’est que lorsqu’on enlève la robe que l’on sait les merveilles qu’elle cachait. Pour bien ressentir les motifs, il faut toucher la robe. Peut-être un jour je vous autoriserai à le faire."

Je commence à avoir chaud. Je sais pas trop si elle me drague ou me repousse. Pendant que je réfléchis, elle se lève et sort. Je n’ai pas le temps de réfléchir. Cette femme m’intrigue. Quand je sors, deux choses me saisissent : le froid de Février et la chaleur de ses lèvres. Ses deux mains sont derrière mon cou, par sécurité, pour me retenir.

Comme si j’allais m’enfuir.

Au bout de ce long baiser, elle me dit :

"Je m’appelle Veronika. Je suis styliste. Tu veux voir mes autres créations ?"

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