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La vie c’est moche et ça commence super tôt (2)

Par Antôane, ministre du népotisme et du privilège indu , le vendredi 1er août 2008.

Quand on est petit, les vacances, ce ne sont pas seulement les visites culturelles. Ce sont aussi les courses au duty free. Et, là encore, c’est pas la journée des gosses.

Après une dure nuit sous la tente, c’est encore la température d’étuve sous la toile qui te réveille. Dure nuit à cause de ce salopard de moustique qui n’a fait rien qu’à voler à côté de tes oreilles pendant trois bons quarts d’heure avant de porter son attaque. Aussi sadique qu’un chat qui joue avec une souris avant de la zigouiller. « Bon, tu piques, oui ou merde ? »

Dure nuit aussi car le sympathique coup de soleil que tu as chopé dans le dos fait que chaque mouvement dans ton duvet est une épreuve. D’autant que la sensation procurée par le contact de la Biafine sur le sac de couchage, eh bien c’est pas top. Autant se rouler dans du beurre avant d’aller faire dodo.

Dure nuit donc. Mais la journée qui naît s’annonce prometteuse. Hier soir à 22 heures, alors que t’étais couché, t’as réussi à vaguement entendre tes parents à travers la toile. Pas de visite culturelle aujourd’hui. Tout juste ont-ils parlé d’aller faire des courses dans l’après-midi. Ce qui veut dire que le reste de la journée, c’est plutôt open et tu vas pouvoir aller dragouiller tranquillement Mélanie, que t’as croisé l’autre jour du côté du local poubelles en train d’écraser des fourmis rouges. Bon point pour elle, y’a moyen de s’entendre (et les quatre boutons de moustique qu’elle a sur les cuisses lui donnent un certain charme. Rrrrrrrrrrrr). Elle rentre en CM1 aussi à la rentrée, mais la plaque de la voiture de ses parents elle indique 51 alors que la tienne c’est 35 et qu’entre les deux c’est pas la porte à côté. Triste et dure réalité. Mais qu’à cela ne tienne.

Donc bref. Quelques petites courses, et après rendez-vous avec l’amour !

Après une matinée dédiée aux mots fléchés du Femme Actuelle de maman (alors... voyons voir... « Saison chaude » en trois lettres. Qu’est-ce que ça peut bien être ?), place au repas avant de faire vrombir le moteur. Sauf que la voiture ne daigne même pas dire bonjour au parking de Champion (bon, ben la casquette avec les pois ça sera pour un autre jour), ni celui de Géant, ni toutes les autres grandes surfaces. Les petites routes deviennent de plus en plus petites. Elle sinuent. Tu te dis que vu de haut ça doit faire penser au début de Shining, que t’as regardé un jour que les parents étaient pas là (enfin juste le début parce que ça fout grave les chocottes, mais ça faut pas le dire à Mélanie parce que t’es un dur). Mauvais présage.

On va où ? À la frontière mon chéri. On devait pas faire des courses ? Si justement, mais là-bas c’est moins cher. On arrive dans combien de temps ? Dans cinquante kilomètres, prends ton cahier de vacances en attendant. Tu fais donc semblant de continuer à remplir ton cahier de vacances que t’avais fini avant même de partir en vacances. Tu repasses sur les traits. Et comme lire en voiture te donne mal à la tête, eh bien tu le poses et t’essaies de dormir en oubliant l’abominable odeur de melon qui s’échappe de la glacière.

Au bout de deux heures et demie avec les genoux pliés et atrophiés, ça y est enfin. C’est qu’on n’est pas tous seuls sur la route ! Faut croire qu’aller faire des courses à la frontière est une idée aussi originale que poser devant la Tour de Pise, le bras tendu et la main plate faisant semblant de la retenir. Du coup, voilà que la place de parking la plus proche des boutiques oblige quand même à marcher un bon kilomètre en plein cagnard. Bon ben faut y aller, même si tu vois pas franchement l’intérêt de prendre ton sac à dos qui est vide (d’autant que ça frotte sur les coups de soleil. La Biafine ça apaise, ça apaise... Faut le dire vite quand même). Arrivés dans le village, y a pas de doute, c’est les vacances. Ça sent les vacances. Enfin... Les vacanciers, ça sent. À gauche, à droite, partout, on est cernés. Tout le monde a dû acheter le même guide de la région que tes parents. Marquage de maman à la culotte pour éviter de se perdre dans la foule. Le repère, c’est le sac à dos rouge de maman.

Allez hop, première boutique exiguë et pas climatisée. Une chaude et âcre odeur de fennec te gifle les narines, à l’instar d’un sèche-cheveu placé derrière des chaussettes de randonneur. Dix allées réparties sur vingt mètres de large et quarante de longueur. Autant dire qu’il faut oublier les distances de sécurité et qu’au moindre freinage brutal, le choc sera tout aussi brutal. Ici, on trouve de tout question épicerie. Mais bizarrement tout le monde (y compris papa) semble se diriger vers le même endroit : le rayon alcool.

Mais toi, tu t’en fous. L’alcool c’est pas bon, ça rend con, comme quand tonton Michel raconte des blagues pendant les repas de famille.

Par contre, vous avez vu la taille de ces barres de Toblerone ? Encore plus énormes que le cartable de ton grand frère qui rentre en sixième à la rentrée. Elles sont là, elles te regardent, mais elles se refusent à toi. Hors d’atteinte qu’elles sont. À 1,80m du sol. Le supplice de Tantale. Un ange passe et... splosh ! Tu t’es arrêté trop brutalement, et derrière, un touriste malvenu a pas eu le temps de freiner.

Et là, ton visage à la peau de pêche délicatement duvetée fait connaissance avec le nombril poilu, suant et poisseux d’un bonhomme ventru et odorant. Réfrénant une envie de vomir, tu reprends tes esprits et n’a qu’une idée en tête : retrouver maman. Apercevant au loin la couleur de son sac à dos, tu te faufiles entre les touristes, évitant moultes bedaines poilues et autres caddies.

Ça y est on y va. Maman : trois bouteilles de Suze et deux de muscat. Papa : entre le Ricard, le malibu, le whisky, le rhum et le vin, le voilà avec l’équivalent de treize litres d’alcool à lui tout seul. Hé hé ! Mon papa c’est plus fort.

Vite ! Dirigeons-nous vers la caisse afin d’en finir au plus vite avec ce lieu infâme. Au passage, ta main attrape un Toblerone géant qu’un quidam a déposé par erreur à portée de ta main. L’occasion est trop belle. Et zou, discrètement planqué dans le caddie de maman. Une fois à la caisse, ça passera comme une lettre à la Poste. Elle fera la grimace, mais elle osera pas passer pour une ingrate, surtout avec la quantité de gammas GT qu’ils achètent.

Par contre, qui dit magasin exigu signifie qu’il n’y a qu’une seule caisse enregistreuse. Et qui dit une seule caissière, dit file d’attente qui va au moins jusqu’au rayon jambon de pays de quatre kilos. Trois quarts d’heure avant de sortir de l’étuve nauséabonde. Trois quarts d’heure interminables à fixer droit devant le sac à dos de maman du haut de tes 1,25m, à te prendre des coups de caddie dans le talon d’Achille à intervalles régulières et métronomiques, à subir les allées et venues d’autres touristes poisseux qui, par manque de passage dans les allées, se frottent à toi. Autant de contacts aussi violents que des piqûres de frelon parce que c’est quand même un sacré coup de soleil que t’as pris hier. Quand ta mère te dit de mettre de l’écran total protection quarante, c’est pas fait exprès pour t’emmerder et pour que tu finisses l’après-midi avec plein de sable collé dans le bas du dos, espèce de nouille ! Ça t’apprendra, bourricot !

La sortie n’en est que plus synonyme de délivrance. À la caisse, se sont ajoutées au butin les cartouches de cigarettes. Cinquante paquets de Lucky Strike pour papa, quatre cartouches de Peter Stuyvesant royal menthol pour maman. Bon, maman a fait une p’tite grimace avec la barre de Toblerone, mais bon, c’est les vacances qu’elle t’a dit en passant sa main dans tes cheveux.

Bon, c’est fini ? Y’a plus qu’à rentrer à la voiture, qui aura passé environ trois heures sous le soleil et où la température doit dépasser les cinquante degrés. Pas un temps à y laisser un gamin tout seul dans l’habitacle. Eh oui, papa n’a pas un salaire assez important pour avoir la clim’.

Sauf que, eh bien il va falloir porter tout ça. S’il t’est parfois arrivé de te poser de hautes questions philosophiques comme « à quoi sers-je ? », « quelle est ma place dans ce vaste monde ? » ou « est-ce que Mélanie elle aime le Toblerone ? ». Eh bien en sortant, tu as ta réponse. Un gosse c’est très utile quand ses parents font des courses à la frontière. C’est même indispensable quand les parents font des stocks d’alcool aussi monstrueuses que s’il fallait tenir un an et demi dans un bunker si d’aventure le Grand Duché de Luxembourg avait la saugrenue idée de s’attaquer à la Francie.

Dehors, tu vois autour de toi des petits genre CP ou grande section de maternelle, fatigués, la larme à l’oeil, boutés hors de leur poussette reconvertie en caddie, portant un ou deux sacs emplis de cartouches de cigarettes et autres bouteilles de parfum contrefaçonnées d’un litre. Dès que c’est en âge de marcher, un gamin ça peut bien faire office de mini Fenwick. Et c’est là que tu découvres avec horreur l’utilité d’être venu avec ton sac à dos vide. Bon écoute, bichette. Avec tout ce qu’on a pris, on dépasse les quotas à la douane. Donc on va mettre deux ou trois bouteilles dans ton sac. Les douaniers oseront pas regarder dans ton sac.

Le choc ! Tes parents sont comme les autres. Te voilà réduit à l’état de sherpa. Eh oui, la vie est une pute parfois. Mais autant que tu t’en rendes compte maintenant. Et en plus ils t’appellent bichette en public.

En état de choc, tu parcoures cahin-caha la distance qui te sépare de la voiture. Ton pas est rythmé par le bruit du cling-cling des bouteilles dans ton sac. Tu as l’impression que tout le monde te regarde en plaignant ton alcoolisme précoce. Et puis y a ce satané goulot qui te rentre directement dans le coup de soleil. Tu ne dis mot sauf pour demander de mettre ta barre de Toblerone dans la glacière (température locale : dix-huit degrés) afin qu’elle ne souffre pas trop pendant le voyage.

Deux heures de routes sinueuses côté ravin. Une fois arrivé, il faut en plus se taper à table des voisins de camping. Oui, tes parents ont pas pu faire autre chose que les inviter. Quand vous êtes arrivés, ces cons de voisins ont pas pu faire autrement que noter que vous partagiez la même plaque d’immatriculation et se sont persuadés que du coup, vos deux cellules familiales ont beaucoup en commun. Et, comme tout bon Français qui se respecte en camping, ils ont proposé de faire un tarot.

Après deux heures à inaugurer une des bouteilles de Ricard qui t’ont assassiné le dos en fin de journée et de mangeage de pastèque et autres nouilles cuites de manière traditionnelle (camping gaz sous l’auvent pour protéger du vent), il est 21h30. Les dents et dodo.

C’est bon maman, je vais y aller tout seul aux sanitaires. Armé de ton pyjama en éponge et de ta trousse de toilette, tu fais un détour par la glacière histoire de récupérer un carré de Toblerone. Faut bien un minimum de réconfort après une journée pareille. Bon, il a un peu épousé la forme du melon et en a à peine récupéré l’odeur en fondant. Mais ça fera bien l’affaire. T’en as plein les doigts, mais au moins t’arrives à ne pas tacher ton pyjama. Tu vas boulotter tout ça tranquillou derrière le local poubelles. Et là ! C’est qu’il y a une Justice dans ce monde cruel. Tout s’équilibre parfaitement finalement. Nouvelle leçon de vie.

Elle est là ! Ce soir, Mélanie est de corvée de poubelle et vient déposer deux sacs emplis d’écorces de melon qu’une colonie de fourmis noires a sans doute déjà commencé à nettoyer. Tu rougis, bafouille deux ou trois mots. C’est que c’est pas facile à aborder une fille quand on a huit ans ! Ça sera plus facile en grandissant, sans doute. Elle sourit. Elle te répond que oui, elle aime bien le Toblerone et accepte l’offrande avec plaisir. Elle sourit à nouveau, les dents et la langue barbouillés de chocolat. C’est pas grave, du chocolat t’en as aussi entre les dents.

Bon ben, c’est pas le tout mais mes parents veulent que je me couche tôt qu’elle te dit. Parce que demain matin, y’a le stage d’optimist à l’UCPA qui commence.

Du coup, c’est enjoué que tu te brosses les dents. Parce que le stage UCPA, eh bien, tu le fais aussi.


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