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Mémoires d’un Platane, épisode 8

Par Benjamin S., Jeuniste du prix et de la mornographie , le mercredi 16 avril 2008.

Désolé pour le retard. L’épisode est prêt depuis pas mal de temps, mais j’avais besoin de photos pour l’illustrer. Entre mon stage, mes cours du soir et le badminton, je n’en ai pas tellement eu le temps. Si on ajoute à ça ma flemme naturelle, alors on comprend tout. J’espère toutefois que vous prendrez plaisir à suivre les aventures de François et Veronika, partis sur Nantes voir s’il y pleut.

Veronika, 22 Mars

free music

François m’a dit « si tu veux me connaître, viens sur Nantes avec moi ». Alors on a pris le tgv, et nous voilà, sur sa terre natale.

Une journée de tourisme, pas la peine de vous raconter. Soit vous connaissez la ville et alors tout cela n’a pas d’intérêt, soit vous ne connaissez pas et ce serait trop long à expliquer. Disons que tout cela est très charmant, très bourgeois. Je comprends qu’on puisse se plaire ici. Après avoir fait le tour de la ville, la question était : comment aller derrière l’apparence ? Parce que le tourisme a ce défaut qu’on y voie que ce que l’on nous montre : les circuits à suivre, les monuments bien restaurés, ne pas passer par les rues suintant de pisse. Ne pas passer par les quartiers d’habitation, sauf si l’immeuble est construit par un grand architecte.

Même cela serait cliché. Dire la vérité, ce n’est pas forcément chercher le laid. On peut tout à fait accepter les efforts faits par quelqu’un pour se présenter sur ce meilleur jour. Heureusement d’ailleurs car sinon je n’aurais plus de travail. Simplement, la façon dont on se présente témoigne directement ou pas, de l’image que l’on a de soi. Comprendre d’où vient l’image est la clé pour comprendre la personne. Et ce qui vaut pour un homme, vaut dans ce cas pour la ville.

Chaque ville a son atmosphère, et personne ne vit entouré de rien. Il y a donc cette influence : les gens font la ville mais l’inverse est vrai. Je ne suis pas forte en architecture, mais je sais que, normalement, il y a un projet derrière chaque construction. Bien sûr, donner envie aux gens de venir habiter quelque part, mais ce qui les attire, change constamment. Connaître l’histoire de sa ville, c’est savoir comment vivaient les hommes, ce à quoi ils aspiraient. Au moins en tant que masse.

Maintenant, nous voici, deux individus, au milieu de nulle part, à parler. Parce que c’est pour cela que nous sommes là. Et boire des coups aussi, car en fait nous sommes à la terrasse d’un des bars du hangar à bananes, face à la Loire. Il fait beau merci, et le soleil se reflète sur nos lunettes de soleil. Ca fait longtemps que je ne m’étais pas reposée, me laissant aller à ne penser à rien. Pourtant, à Paris, on a la Seine. Je ne prends plus le temps d’y aller. Des fois, j’ai l’impression que ma ville ne se donne qu’aux touristes. Peut-être est-ce ainsi pour toutes les villes, comme pour certaines femmes, qui mettent en avant tous leurs atours pour séduire, et qui, une fois mariées, laissent ressortir tous leurs défauts.

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François m’explique qu’il y a peu de temps, il n’y avait pas grand chose ici. Le chantier naval et les entrepôts étaient ici, avec en face, de l’autre côté de la rive, les putes. Comme un écosystème. Bien sûr, Nantes n’étant pas tout à fait au bord de l’estuaire, le chantier n’a survécu qu’à Saint-Nazaire, laissant des kilomètres de friche industrielle. Depuis quelques années, la politique d’urbanisme de Nantes est de miser sur le culturel et le touristique. Il était donc évident qu’après avoir fait de l’usine Lu un lieu branché, il fallait s’attaquer au chantier. On a donc remplacé les ouvriers par des bars, et des attractions touristiques. Pourquoi pas ? Après tout, ça va dans le sens de l’histoire. Le secteur secondaire remplacé par le tertiaire. Le recyclage permanent. Il faut bien trouver une façon de créer de la richesse.

Personnellement, cela ne me gêne pas du tout. J’aime bien l’idée que les gens arrêtent de se tuer sur leurs machines pour boire des coups. Une grande société d’oisiveté, où les gens iraient dans des cafés, pour discuter, rivaliser d’élégance, danser sur les tables. Et le dandysme sera le genre humain. Le problème est évidemment qu’on a oublié de prévenir le peuple, qui ne sait pas que faire de sa vie. Alors ils cherchent du travail comme des pionniers à la recherche d’or, car ils ne savent pas que faire de leur liberté.

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Ou peut-être sont-ils simplement pauvres. C’est triste toute ce temps, toutes ces activités à faire, et pas d’argent pour le faire. Quand j’ai raconté mes pensées à François, il m’a répondu que c’était pour ça que Nantes cherche à ne garder à terme que les gens aisés : des cadres, des créatifs... Les autres peuvent aller sur Le Mans, une ville moche pour gens moches, et les vaches seront bien gardées.

Pourtant, derrière cette volonté de s’élever, reste une impression de creux et de moisi. A la place de l’ancien hangar, on a une rangée de bars à thèmes. Tous très chics, tous très plastiques. François me dit qu’il a l’impression d’être dans un parc d’attraction, et qu’il attend d’un moment à l’autre l’arrivée d’un mec en costume.

« Peut-être que tu peux proposer des costumes ? Je sais pas moi, des hommes bières, avec des gros yeux pour faire rire les enfants, et leurs potes monsieur cahouette et monsieur chips.

-  Sans oublier madame olive. Quelle merde. »

Et pourtant, je dois bien avouer, que, si inauthentique que soit le lieu, je me sens bien. Et si au fond c’était ça, la joie de puer moderne ?

« Au moins les choses sont claires, me dit François. Des cases pour chacun, et picole pour tous. On est loin de la ville et on embêtera personne si on pisse sur les murs.

-  Et malgré tout, c’est une bonne idée, non ?

-  C’est comme à New York. On ferme les clubs en centre ville, on vire les putes, on assainit la ville. Maintenant on peut s’y promener la nuit, mais les gens regrettent le danger.

-  En même temps personne ne veut se faire agresser dans la rue. C’est juste le sentiment que quelque chose pourrait arriver, et qu’on est courageux d’aller en boîte. Si quelqu’un attaquait, on lui ferait bien la peau.

-  Je peux très bien comprendre ça. C’est comme si pour s’affirmer, on avait besoin d’un repoussoir ou de se mettre en danger. Brûler la voiture de son voisin, c’est de la révolte, mais péter des bagnoles à la casse, c’est un métier. »

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François réfléchit. Son regard s’absente quelques temps. Pendant ce temps je regarde l’eau, qui coule calmement, et se fout complètement de nous. Quand je regarde François de nouveau, il a le sourire aux lèvres.

« A bien y réfléchir, je suis peut-être plus indépendant qu’on ne le pense. Bien sûr je passe de la merde, bien sûr je formate les cerveaux. Mais si je n’existais pas, les bien-pensants de la musique n’auraient rien contre quoi s’énerver.

-  Malgré tout, tu n’écouterais pas à la maison ce que tu passes à la radio.

-  Je l’avoue. »

Il y a quelque chose d’étouffant dans la banalité. Je comprends qu’on puisse avoir envie de tout faire sauter, de vivre dans la jungle, juste pour savoir si on s’y adapterait.

« Au fond c’est facile tout ça. Dire : je ne te montre qu’un aspect des choses, mais si tu cherches bien, tu peux en trouver un autre. Simplement, on ne t’apprendra pas comment le chercher, et si tu le trouves, tu n’auras jamais la force nécessaire pour faire partager ta vision. »

J’essaie de bien me concentrer. Je sens que c’est important. En même temps, je me rends compte que la nuit commence à tomber, et que notre table est remplie de verres de bières vides.

« On fait trop confiance à la liberté. C’est vraiment dur de savoir qui on est. Il faut du temps, il faut qu’on t’aide pour cela. Peut-être que pour commencer, on pourrait proposer le choix. Pas un choix en carton, entre deux solutions qui arrangent tout le monde.

J’ai le tête lourde, avec toutes ces bières, mais je crois qu’il n’y a pas que ça. Le monde autour de nous est si banal, si plat. Tout ce qui avait un sens, l’a perdu. Les quelques choses qui ont de la valeur sont entourées, acculées par du rien. Du gros rien volumineux. Comme du pop-corn qui gonfle dans tout estomac sans te nourrir. Mais tu ne peux rien avaler d’autre.

Si on veut donner un sens à sa vie, il faut commencer par vomir toute cette banalité. Ca prend du temps, d’autant plus que cette opération est toujours à renouveler. Quand on commence une conversation, il faut du temps pour dépasser le quotidien. Le « et t’as vu à la télé hier ? », le « tu sais ma collègue de bureau, c’est vraiment une cruche, hier encore, elle a... », le « les enfants c’est du souci... ». Quand on a vidé ça, il reste un trou effrayant. Parce qu’on ne peut plus se cacher, et pourtant, on sait qu’il faut continuer à parler. Alors la peur peut surgir, l’angoisse. Ou au contraire la joie. Mettre de la musique et se mettre à danser. Parler littérature ou cinéma, pas en disant ce qu’on a lu dessus, mais non seulement ce qu’on en a pensé, mais aussi ce que ça a fait sur soi.

Dire qui on est. Et écouter. Savoir qu’on est bien ensemble. »

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Il fait maintenant complètement nuit depuis longtemps. Je suis un peu fatiguée

« Alors il faut être deux pour faire quelque chose. Comme ce soir toi et moi. Au départ faire du tourisme, et puis faire la révolution. Autour d’un verre d’alcool.

-  Il y a encore beaucoup de choses que je ne sais pas sur toi François, mais tu me plais beaucoup. Mais tu as encore trop peur de ce qui pourrait arriver si tu acceptais d’être au moins un peu libre. Contrairement aux adolescents qui t’écoutent, tu as une petite idée de ce que peut être un choix musical. Je le sais depuis que tu m’as emmenée au concert. La musique est quelque chose d’important tu sais. Elle nous entoure, et même inconsciemment elle influe sur nous. Si tu passes toujours les mêmes choses, comment veux-tu que les gosses s’épanouissent ? Pour un qui va aller voir ailleurs, combien qui vont rester scotchés sur les trois titres en rotation lourde toute leur vie. Vraiment, c’est trop facile de pas accepter la responsabilité qu’on a auprès des autres, et la tienne est plus grande que tu penses. Penses-y. Et si ton émission était vraiment celle du choix des auditeurs, et pas celui des maisons de disque ? Pourquoi ne pas créer un espace de liberté ?

-  Mais si l’audience baisse, je me fais virer.

-  C’est toi le professionnel, à toi de voir comment tu vas le faire passer...

-  Merci. Tu m’aides beaucoup.

Quand même, François réfléchit. Il y a tant de choses que j’aimerais lui dire. Mais il se fait très tard, et le bar va fermer.

En revenant vers l’arrêt de tram, on croise un flux constant de jeunes gens éméchés, dodelinant en chantant, en route vers la boîte de nuit. Ils sont déjà plus bourrés que nous et la soirée ne fait que commencer. Ils ressemblent à des zombies, ne sont joyeux que de l’extérieur. Peut-être est-ce juste moi qui aie peur de la foule ? Je ne peux m’empêcher de penser qu’ils sont tous conformistes, à endormir leur cerveau... Si encore ils profitaient de leur ébriété pour faire des choses inattendues, comme démarrer une révolte, ou une orgie géante en boîte. Mais non, juste aller en boîte écouter la même bouillie qu’à la radio. Etre ensemble, mais ne pas se parler.

Ce n’est pas une vie riche. C’est même plutôt de la merde. J’espère que ça va changer.

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