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Americana, un roman de Don Delillo (1971)

Par Benjamin S., Jeuniste du prix et de la mornographie , le jeudi 14 mai 2009.

En ce moment, je suis en train de faire un marathon Don Delillo : après avoir lu Mao II, Bodyart et Outremonde, j’ai décidé qu’il était temps de tout lire de façon méthodique. Je m’engage donc devant l’éternel et le grand chef à faire une critique de chacun des romans de l’américain, et des les publier dans l’ordre. Autant dire que vous pouvez attendre longtemps avant celle de l’homme qui tombe (2008, le dernier en date). Aujourd’hui donc, Americana, premier roman, lu dans le premier volume de l’intégrale paru l’année dernière chez Actes Sud.

L’histoire :

David Bell est jeune, beau, travaille à la télévision où il produit des émissions. Il accumule les conquêtes et passe son temps à épier les rumeurs de licenciement de ses collègues. Mais il n’est pas pour autant Patrick Bateman. Si lui aussi a des nevroses, celles-ci ne se révéleront pas de la même manière...

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Mon avis :

Premier roman de Don Delillo, sorti de trois ans de travail dans une agence de publicité, Americana est un premier livre rempli de promesses tenues depuis, où on devine une partie des obsessions futures de l’auteur, sans pour autant les présenter sous leur forme achevée.

Mais plus qu’un ensemble de thèmes, c’est d’abord le style de Don Delillo qui frappe, d’une façon difficile à retranscrire dans un article, parce qu’il est basé sur l’accumulation, la répétition de phrases de loin en loin dans un chapitre, lui donnant un rythme et ouvrant une porte sur la vie intérieure des personnages. Ce sont des phrases souvent longues, soutenues, qui pèsent. Elles me font penser d’une certaine façon à la Virginia Woolf des Vagues, bien que syntaxiquement je doute qu’elles aient quoi que ce soit à voir. Simplement, elles transportent beaucoup, surprennent, et donnent souvent envie de faire une pause pour apprécier ce qu’on vient de lire, comme on fait tourner le vin dans la bouche pour en apprécier le goût. Petit exemple, très imparfait, avec cette description de la mère du narrateur, p.127 dans le vol.1 des oeuvres romanesques :

« A certains moments, sa présence dans la maison semblait accidentelle. Elle était de ces gens qui n’apparaissent de temps à autre que pour s’estomper dans une sorte de parenthèse un peu distante ; on aperçoit des personnes de ce type dans les parcs et les musées. En passant dans le couloir, il m’arrivait de la voir errer de pièce en pièce, blanche nuée d’étoffe, de blondeur et de bras nus ; descendant l’escalier, je voyais d’abord ses pieds, puis ses genoux, ses mains, son visage, avec une lueur lasse dans le regard. Elle aimait s’asseoir sur la marche du haut. Il y avait en elle quelque chose d’une apparition. Elle paraissait presque translucide, et jamais aucune prévision de l’esprit ou des yeux n’a pu me préparer au scintillement soudain de ses allées et venues ».

Comme beaucoup de romans de Don Delillo, ce roman accorde une bonne place à des réflexions sur l’art plastique comme cinématographique, mais surtout, il propose l’exploration de la personnalité d’un narrateur au moment où sa vie dévie. Americana est une plongée au coeur de l’Amérique, de la côte Est (New York) à Austin (Texas) en s’arrêtant longuement au passage au milieu du grand rien, dans une ville si peu intéressante que le narrateur même ne sait pas où elle se situe. Mais c’est aussi et avant tout la plongée dans la vie d’un homme ne cache qu’imparfaitement des fêlures profondes. C’est par l’art, par le travail sur sa propre histoire, qu’il pourra, peut-être lui redonner un sens.

De même, Americana, bien que plus concentré et modeste qu’un roman comme Outremonde, est un roman qui déborde de partout, rempli de personnages complètement fous : l’équipe réunie par David , avec ses écrivains alcooliques et surréalistes, son collègue de bureau qui distribue anonymement pendant la nuit des tracts menaçants sur la vacuité de la production télévisuelle, ou encore ce lugubre présentateur de radio qui accompagne les nuits du héros :

« L’agonie commence. L’heure de hurler dans l’oreiller. L’heure de tapisser les murs avec la cervelle. Mais si nous arrivons à passer les dix prochaines minutes, nous réussirons à passer la nuit. Trois heures du matin et les loups-garous se glissent au salon. L’Entre-Temps Américain. En rentrant du boulot vous avez trouvé votre femme au lit avec votre sœur. Étrangement rafraîchissant. Vous êtes restés pour regarder. Bien sûr je sais comment c’est là-bas. Un œil énorme et succulent qui roule sur la langue. Œil de brebis. Œil noir étincelant du maître violeur de tous les bébés moutons que vous avez compté dans votre lit mouillé. Je sais comment c’est. Moi, Beastly, j’ai anticipé presque toutes les souffrances. » (P.205)

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Conclusion :

Americana, s’il n’est pas le meilleur roman de Delillo, reste un premier ouvrage sacrément bien fichu. Road-movie mental (en béquille, comme dirait non-stop), centré sur un personnage plus profond qu’il n’y paraît, mais qui n’oublie pas pour autant de proposer un regard halluciné sur l’Amérique, Americana est un livre qui tient très bien pour lui-même. Une réussite.

Liens pour aller plus loin :

Le site plus ou moins officiel mais très riche sur Don Delillo

L’article que j’ai publié sur Littexpress sur Outremonde


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