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Point Omega, un roman de Don DeLillo (2010)

Par Benjamin S., Jeuniste du prix et de la mornographie , le lundi 4 octobre 2010.

« Regardez tout ça » dit-il sans regarder ce paysage et ce ciel qu’il venait d’embrasser d’un large revers du bras.

Nous ne le regardâmes pas non plus

« Le jour finit par se transformer en nuit mais c’est une affaire de lumière et d’obscurité, pas de temps qui passe, de temps mortel. Rien à voir avec la terreur habituelle. Ici, c’est différent, le temps est énorme, voilà ce que je ressens ici, de manière palpable. Un temps qui nous précède et nous survit. » (...)

[Jesse] déclara : « La terreur habituelle. Quelle terreur habituelle ?

-  Pas ici, non, mais ce calcul minute par minute, cette sensation, que j’ai dans les villes. »

Tout est englué, dit-il, les heures, et les minutes, les mots et les nombres, partout, dit-il, les gares, les trajets de bus, les compteurs des taxis, les caméras de surveillance. La question c’est le temps, un temps imbécile, un temps inférieur, des gens qui regardent leurs montres et leurs appareils divers, leurs pense-bêtes. Un temps qui coule hors de nos vies. Les villes ont été bâties pour mesurer le temps, pour soustraire le temps à la nature. Il se fait un interminable compte à rebours, dit-il. Quand on déblaie toutes les surfaces, quand on regarde bien, ce qui reste, c’est la terreur. C’est la chose que la littérature était censée guérir. 

Point Oméga, Don DeLillo, p 55-56, traduction Marianne Véron

L’histoire :

Prologue  : New York, en 2006 : un homme passe ses journées au MOMA de New York, à contempler une installation vidéo appelée 24 hour Psycho. Le principe en est simple : ralentir Psychose pour que le film ne dure plus 1h49, mais 24 heures. A cette vitesse, chaque image semble isolée du reste, et prend une signification propre. Cette dilatation du temps fascine le narrateur.

Le cœur du roman  : Jim Finley, cinéaste expérimental, se trouve dans une maison au milieu du désert, à essayer de convaincre Elster, intellectuel, conseiller néo-conservateur de la maison blanche pour la guerre en Irak, de participer à son film. Il veut le filmer en plan-séquence, avec un mur pour seul décor, en le laissant libre de dire ce qu’il voudra.

Leur face à face n’est interrompu que par la présence de la fille d’Elster : Jessie, une jeune femme évanescente.

Dans le désert, face au vide et à la chaleur, la notion de temps disparaît petit à petit.

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La couverture américaine

Un livre expérimental pour personnes averties

Point Omega est un livre piège dans la carrière de Don De Lillo. Sorti pour la rentrée littéraire, petit format, petit nombre de pages : on pourrait très facilement penser qu’il s’agit d’une œuvre idéale pour servir d’introduction à l’univers du romancier américain. Or, bien que ce roman reprenne des thèmes chers à l’auteur d’Outremonde, il n’a rien de facile, ni même d’aimable. Il fait bien plutôt partie des romans expérimentaux et abstraits de l’auteur, à ranger du côté du très opaque Body art. Est-ce pour autant un mauvais roman ? Pas du tout, pourvu qu’on soit prévenu.

Il y a d’abord des figures propres à l’écriture de Don DeLillo : un prologue qui sert d’introduction thématique, mais dont l’action n’entretient qu’un rapport très très lointain avec le corps du texte.

La figure de l’artiste reclu, qui refuse ou pas de parler (cf. l’écrivain de Mao II, ou l’artiste peintre d’Outremonde)

La figure du cinéaste qui se perd au milieu de nulle part et reconsidère sa vie (cf. Americana)

Le fantôme qui nous accompagne (cf. Body Art), et même la fascination pour les comiques / performers du passé (Lenny Bruce dans Outremonde, Jerry Lewis dans ce livre).

Ces figures familières sont perverties par le sujet même du roman : le point Omega, ce moment où le temps se distend, où la notion d’espace devient floue. Comme dans l’installation vidéo de Douglas Gordon basée sur le Psychose d’Hitchcock, les figures narratives de DeLillo sont reprises sur un tempo très lent (il ne se passe pratiquement rien pendant les 120 pages du récit), ce qui nous force à les regarder sous un autre angle.

Les lecteurs de Mao II se souviennent certainement de la scène de confession de l’écrivain lors de la séance photo, une scène très dense malgré sa trentaine de pages, où le personnage se livre entièrement. Dans Point Omega, la conversation échoue, recommence, pour se faire non verbale : si l’intervieweur finit bien par comprendre l’interviewé, ce n’est plus par le biais du discours, mais par le biais d’une expérience commune du temps qui justement rend les mots inutiles.

(JPEG)
La couverture française

On voit donc que Point Omega est un roman très court, qui par ses silences pose une énigme. Une expérience presque mystique qui pourra fasciner ou rebuter, portée par le style d’écriture toujours parfait de DeLillo.

Une aventure à tenter quoiqu’il arrive pour les fans de ce grand auteur américain qui parvient toujours à se renouveler après déjà 16 romans.

Pour en savoir plus :

Une interview de Don DeLillo donnée aux Inrockuptibles

Une revue de presse très complète sur le site consacré à Don DeLillo (très laid mais très riche)

Un très court extrait du 24 hour psycho de Douglas Gordon


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