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Frères de sang - Taegukgi

Par Le Ministre du Ministère , le mardi 17 mai 2005.

D’un réalisateur qui n’avait qu’à avoir un nom correct pour qu’on le retienne.

Film avec plein de sang, de scènes de bataille, de combats mano à mano, de grosses gerbes de sang - et quelques chars. Malgré ces atouts évidents, est-ce nécessairement un bon film ? Est-ce même un film nécessaire ?

La question se pose. Effectivement, la première scène du film laisse sceptique. Ca commence exactement comme Il faut sauver le soldat Ryan, c’est-à-dire qu’on retrouve, cinquante ans après la guerre de Corée, un survivant. La scène d’introduction présente un vieil homme, à la recherche de son frère, mort pendant le conflit. Elle en dit juste assez pour qu’on sache que ledit frère est mort ; elle laisse ce qu’il faut en suspens pour qu’on se demande comment, et qu’en plus, on se demande bien comment.

Jusqu’ici donc, pas de quoi fouetter un chat, ou alors juste gratuitement, pour le plaisir. La suite de l’introduction se poursuit avec le flash-back qu’on attend dans le passé. On retrouve les deux frères, quelques jours avant le début de la guerre. L’atmosphère est niaisarde à souhait : on s’aime, on s’adore, on se fait des bisous, on va finir par faire vomir le spectateur lambda, d’autant qu’on rajoute des ralentis là-dessus. On commence à abuser. Survient l’événement déclencher : ces saloperies de communistes du Nord viennent foutre leur merdier dans le joli paradis du Sud, et les deux frérots se font embarquer à la guerre. Maman pleure, mais elle est muette, alors ça fait « rheu, rheu », comme une 2CV qui démarre. Bobonne est très jolie et pleure aussi, tout en ramassant maman qui est tombée. Très triste.

Là, on se demande si on a bien fait de venir. Ca commence à sentir le roussi pour le réalisateur. Sauf que maintenant, les choses sérieuses vont commencer. La suite de l’histoire suit les deux frères dans le conflit, jusqu’à la fin de 1950. On les voit poussés à la dernière limite par des soldats du Nord victorieux ; puis la vapeur est renversée, on enfonce les lignes des vilains cocos ; on arrive près de la Chine, fallait pas, y’en a plein qui débarquent en criant des idéogrammes (ce qui est très dur), et on se retrouve donc sur le 38ème parallèle. Entre-temps, les frères, d’abord enrôlés de force, sont devenus de braves soldats. Grand frère est même un sacré cador ; petit frère, par contre, n’est pas d’accord, mais ça ne l’empêche pas de tuer des gens avec du sang dedans, mais pour sauver sa peau, alors ça compte pas.

Le film, malgré ce résumé où j’ai fait preuve à la fois d’une maîtrise exceptionnelle puisque j’ai vraiment pas tout raconté, et d’un sens aiguisé de la formule ; ce film, donc, se plie effectivement aux conventions du genre - la guerre sous toutes les coutures.
C’est filmé façon Soldat Ryan, parce qu’en plus d’utiliser un canevas scénaristique parfois très similaire, le réalisateur a également pompé l’idée de la bataille filmée au plus près, avec couleurs bien sépia, gros grain, grosses gerbes de terre partout, et évidemment des cris, du sang, et une caméra qui danse le jerk. Les thèmes habituels et essentiels sont abordés : l’héroïsme, le sacrifice, les chars d’assaut, le dépassement de soi, la peur, mais tout cela de façon assez légère il est vrai. _ On pourrait même dire que l’histoire entre les deux frères est relativement anodine, bien que je me sois pris au jeu. Pour l’instant donc, toujours pas de quoi flageller un félin. Honnête, mais pas de quoi se déplacer si on est pas particulièrement sensible aux joies viriles des asticots dans un ventre mal recousu (scène à inscrire au Gault et Millau du dégueu).

La vérité ici comme partout est ailleurs. D’ailleurs, partout c’est en général ailleurs. Ce qui est vraiment bien, c’est le regard général sur le conflit, plus largement, sur les destins séparés des deux parties du pays. L’auteur ne s’acharne pas lourdement à faire un gros parallèle entre la grande histoire et la petite - celle des deux frères.
Il souligne cependant la division des deux pays par celle des frères, de plus en plus séparés au fil de la guerre, malgré leur proximité initiale ; des frères qui finalement ne se comprennent plus. Au-delà des deux protagonistes, on a un éclairage intéressant - pour l’occidental béotien de base - sur l’histoire du pays ; un regard qui, de toute évidence, se veut assez lucide, puisqu’on évite la stigmatisation à sens unique des vilains communistes. La présentation de l’enrôlement des soldats du Sud - scène assez brutale ; des crimes de guerre commis par ces mêmes soldats ; de la barbarie qui, dans des tranchées boueuses, pousse des hommes qu’on ne distingue pratiquement plus (et là je vous jure je fais un effort monstre pour ne pas pousser la blagounette douteuse sur le fait qu’à la base, même sans la boue, on ne les distingue pas) les uns des autres à s’étriper.
La question des populations civiles est également évoquée, notamment par la mise en scène de l’épuration des supposés collaborateurs.

Pour en finir avec une déjà trop longue critique : faut-il aller le voir (pour reprendre une catégorie fondamentale de la critique cinématographique, introduite par B. Sauzin dans Moi et John B. Root, entretiens exclusifs) ? Ben ça dépend.

En gros, il faut aimer le gros gore qui tache, les grosses émotions colossales à la louche. Mais on peut aussi aller le voir si on veut voir comment les Coréens traitent, par le cinéma, de leur passé récent. A mon avis, c’est d’une façon, paradoxalement, bien plus saine que nous ne le faisons en France.

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