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DERRICK, secrets d’un mythe
De tous temps, en tous lieux, la série Derrick a connu un succès tel qu’il place le héros de la ZDF au même rang que les imperators du petit écran les plus célèbres, ces phares de la pensée d’aujourd’hui, les Sous le soleil, Tatort et autres Drôles de dames. Mais comment expliquer cet engouement populaire qui ne s’est jamais démenti ? Sans dévoiler tous les secrets d’une œuvre qui doit avant tout se découvrir lentement, comme on déguste un grand cru, avec respect et humilité, offrons quelques clefs de lecture de cette œuvre qui place la télévision publique allemande au panthéon des œuvres immortelles de l’humanité. UN HEROS AUX BLESSURES SECRETES : qui n’a pas vu cet épisode mémorable où Derrick invite chez lui un témoin - féminin, natürlich - et révèle, un peu, la vie solitaire du vieux renard ? On sent bien les drames tus et les cicatrices vives d’un cœur qui saigne encore. Derrière ces grandes lunettes fumées se tapit un regard qui en dit long, si on sait y prêter attention, sur les désirs secrets d’un grand romantique : des ballades interminables en BMW (nous sommes à Munich, évidemment), les cheveux gris-jaune au vent ; des soirées de folie dans les meilleurs bars lambrissés ; la fièvre d’étreintes passionnées sur le formica d’un bureau qui n’a pas connu que les froids interrogatoires.
Ces blessures, qui trahissent la vie troublée de ce baroudeur en tergal, lui permettent de mieux déjouer les complots les plus tortueux, de comprendre les âmes perdues de la nuit bavaroise. UN SIDEKICK EPATANT : Harry, l’ami fidèle, le comparse bouillonnant, le jeune chien fou. Que serait Stefan sans Harry ? Les effronteries de ce jeunot de 45 ans à peine ont plus d’une fois donné la clef de l’énigme, déclenché les mécanismes subtils de la réflexion du vieux maître. Dans un paysage bavarois où règnent les hommes et femmes posés, d’âge mûr, les octogénaires et les centenaires, il est le grain de folie qui vient animer des épisodes parfois bien cérébraux, la touche d’humour indispensable dans le drame continu des existences allemandes des années 1970. DE L’ACTION : Jackie Chan, Jean-Claude Van Damme, Stephen Segal ont bien souvent cité le rôle fondateur de Horst Tappert dans la création d’un cinéma d’action. Toujours prêt à payer de sa personne, il multiplie les scènes de course-poursuite à couper le souffle, au volant de bolides allemands débridés ; il n’hésite pas à jouer les gros bras dans les scènes de bagarre, face à des brutes germaniques armées de choppes de bière ou de bons mots cinglants. L’épisode où Derrick est affublé d’un plâtre à la jambe gauche est le fruit d’une scène trop audacieuse : le héros, à la poursuite d’un septuagénaire dans la force de l’âge, sautait du haut d’un talus pour couper sa retraite. On trouve d’ailleurs des réminiscences de ces cascades dans les films les plus récents : Tigre et Dragon, Piège en Haute Mer, ou encore L’Eternité et un Jour. Il suffit de citer le maître lui-même pour comprendre l’essence de sa pensée : « Merk auf, merkt auf ! Die Zeit is sonderbar,/ Und sonderbare Kinder hat sie : Uns ! » (in H. Tappert, Oeuvres complètes, éditions la Pléiade, 1995, trad. H. v. Hofmannsthal). DU SEXE ET DES FEMMES : l’élément féminin est omniprésent dans Derrick. C. Jung et F. Dolto remarquaient dans ZDF, sexe et pouvoir (in Conversations posthumes, éditions du Temps perdu, 1986) : « Derrick, Derrick... le nom lui-même n’est-il pas une allusion, fine mais visible pour l’œil averti, à la virilité du héros ? Ce même héros ne passe-t-il pas son temps à rentrer dans des portes, ou, pour mieux dire, à enfoncer des portes ouvertes ? L’interrogatoire des femmes prend alors forme d’acte sexuel entre Derrick, archétype du mâle dominant de notre fin de siècle, et, non pas une femme, mais la femme, celle que célébrait M. Sardou. Le rapport entre Derrick et son disciple en crimino-vénerie est éclairé par ce seul fait : Harry, tout en vénérant son maître pour ses prouesses (et qui dit prouesse dit évidemment prouesse), éprouve une jalousie compréhensible pour celui dont rêvent les Allemandes bien sous tous rapports. In fine, la femme dans Derrick, qu’elle soit victime, criminelle ou simple passante, n’est qu’attente et désir. » DU REALISME PSYCHOLOGIQUE : le succès de Derrick tient pour grande partie à ce que chacun peut se reconnaître dans les situations. Le processus d’identification et de catharsis, cher à Aristote et Racine, joue ici pleinement : les passions violentes les plus fondamentales (vouloir tuer sa mère parce qu’elle a épousé le beau-père de la gérante d’un Biergarten faisant office de base pour un dealer mêlé à la traite des blanches), communes à l’humanité entière, sont ici retracées avec la minutie des peintres flamands du XVème siècle, leur accordant le vraisemblable sans lequel on n’y croit pas, et la puissance des grandes œuvres romantiques, sans laquelle on n’est pas emporté.
Il faut évidemment rendre à Cesar ce qui est à Cesar : si les scénarios et les dialogues, travail d’orfèvrerie inspirés par la vague du Nouveau Roman Bavarois (NRB), sont pour beaucoup dans la perfection de l’illusion, le jeu tout en profondeur et en retenue des acteurs triés sur le volet, et avant tout du maestro lui-même, donne vie à l’ensemble. Au terme de cette approche bien limitée d’un aussi vaste sujet, que peut-on dire ? Lundi au vendredi, 13h50 (en fonction des infos et de la météo), et ne vous trompez pas, c’est bien sur la 2. Sur la 1 c’est les Feux de l’Amour (bien aussi mais beaucoup moins) ; sur la 3 c’est Pierre Bellemare (du gros potentiel, mais à explorer), sur la 4 c’est crypté, sur la 5 c’est le Journal de la Santé (carrément pas regardable, à moins de vouloir à tout prix savoir comment éviter les crevasses lors de l’allaitement), et sur la 6 c’est un téléfilm (Allemand en général, me contacter pour les critiques).
Merci à la ZDF et à la Horst Tappert Foundation for Appronfondied Riseurch.
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