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Mémoires d’un platane, épisode 4

Par Benjamin S., Jeuniste du prix et de la mornographie , le vendredi 8 février 2008.

Dernier épisode mettant en scène François comme narrateur. Le prochain épisode verra le début de la deuxième partie, centrée sur la mystérieuse Veronika. Désolé pour le retard, dû en grande partie aux fêtes de fin d’année, à une reprise de boulot complexe, et à une fin prochaine de boulot qui l’est encore plus.

20 Février

François

free music

Alicia Keys : How come you don’t call me

Un baiser et c’est tout ? Ne me reste plus que des fantômes. Le téléphone qu’elle m’a donné ne répond pas. Sa voix sur le répondeur me rend fou. Elle me rappelle cette silhouette que j’ai entraperçue. Ses lèvres sur ma bouche. Je crois que je suis amoureux.

C’est bizarre. Comme un puzzle avec une pièce en moins. Pourquoi m’a-t-elle donné sa carte si elle ne voulait pas me revoir ? Pourquoi m’embrasser si je ne lui plaisais pas ? Il y a trop d’inconnues. Elle est trop inconnue.

Je peux tout imaginer sur elle et c’est un avantage à cette désagréable situation. Peut-être n’a-t-elle pas aimé mon baiser. Mais elle ne m’aurait pas laissé sa carte. Ou alors, en y repensant s’est elle dit qu’elle n’avait pas de temps pour l’amour. Ou elle a été enlevée, ou morte dans un accident de voiture. Ou elle n’a plus de crédit sur son téléphone et ne peut me rappeler. Ou, ou, ou... Quelque soit le scénario, aucun ne semble en ma faveur.

Je peux simplement rêver que mon téléphone va sonner d’un moment à l’autre. Que je suis celui qu’il lui faut, qu’elle m’aimera pour ce que je suis et ce que je devrais être.

Je ne sais même pas ce qu’elle aime. Comment lui plaire alors ? Préfère-t-elle la plage quand il fait beau, allongée au soleil, attendant que la marée monte jusqu’à chatouiller les pieds et plonger pour se rafraîchir, nager, sentir ses muscles, sortir de l’eau sous mon regard et m’embrasser. Ou au contraire, quand la tempête se lève, quand la mer est démontée, aime-t-elle assister au spectacle sublime de la nature ? Prend-elle son petit déjeuner dans son lit, ou dans un bar en lisant un journal, comme l’Equipe (pourquoi pas supportrice de l’AS Nancy-Lorraine ou de Sedan ?) ou le FAZ, pour frimer ?

Je ne sais pas. C’est comme une Barbie, tu peux l’imaginer comme tu veux. Peut-être même est-ce mieux qu’en vrai. Mais le problème du virtuel, c’est qu’on a rien dans les mains. Une vraie personne ne fait jamais ce qu’on attend, donc il faut s’adapter. Tantôt on se laisse conduire, tantôt on réagit, on relance la machine ; qu’il n’y ait à la fin ni vainqueur, ni vaincu. L’amour, un problème sans cesse renouvelé.

Certainement de son côté pense-t-elle quelque chose de proche. M’habillant et me déshabillant mentalement, se demandant si je vaudrais le coup sans vêtements. Se demandant ce que je peux faire en ce moment. Ca doit bien la faire jouir de m’imaginer marinant dans mon jus. C’est cruel, vraiment. Peut-être qu’elle m’a déjà oublié, qu’elle était bourrée, et qu’elle est surprise d’entendre ma voix sur son répondeur.

Toujours est-il qu’entre nous deux, il n’y a rien de tangible. Mon désir est énorme. Sait-il seulement si ce qu’il désire est vrai ? J’espère que la réalité est encore plus forte que ce que je peux fantasmer. J’espère aussi que de son côté, elle a ce même désir, qu’elle lutte pour y résister, soit parce qu’elle a peur, soit par jeu, pour que le plaisir soit plus grand quand elle s’y abandonnera, mais qu’elle ne luttera pas trop longtemps. J’attends, alors.

Mais on ne peut pas attendre, parce que personne ne vous laisse le temps d’attendre. Il faut aller travailler, manger, voir des amis. Ce genre de choses quotidiennes. Donc, en fait on s’applique, et on y pense plus. Quand je suis tranquille, quand même ça arrive, tout cela revient. Alors peut-être est-ce pareil pour elle. Peut-être est-elle absorbée par son travail, et il ne faut pas oublier qu’elle est indépendante, bien sûr. Elle doit travailler jusqu’à l’épuisement, la pauvre, sinon, elle ne pourra pas manger, n’aura aucune vie quotidienne, et ne pourra donc plus du tout penser à moi. Aucun désir ne pourrait plus alors s’exprimer.

Pour garder espoir, je pense à ce que Ninnog m’a expliqué un jour, qu’on ne peut constamment réprimer le désir, parce qu’il finit tôt ou tard par devenir trop fort, provocant folie ou tout du moins grande souffrance. De cette vérité, elle en avait tiré la maxime, que, lorsqu’elle est sur scène, elle ne laisse pas un petit cul s’en aller de la salle sans qu’elle l’ait invité en backstage. On ne sait jamais à côté de quoi on pourrait passer.

Depuis ce jour, j’imagine le désir comme un dieu terrifiant, s’infiltrant dans le cœur des hommes et des femmes, leur faisant perdre sommeil et repères. Un dieu ambivalent, qui fait maigrir les uns pour cause de déprime et les autres pour cause d’excès de bonheur. A présent, poussé à bout, j’espère que ce dieu puissant va bientôt s’emparer d’elle, et la torturer au point où, oubliant toutes ses obligations, peut-être au milieu d’une séance d’essayage, elle sautera sur son téléphone pour m’appeler.

Robocop Kraus : Telephone rings

Je vois très bien la scène : ses petits doigts tapotent le clavier du portable, direction le répertoire, catégorie appels manqués. Ses pensées filent à toute allure, pleines de l’espoir que je ne l’aurais pas oubliée, et de la crainte d’avoir trop attendues, laissant filer une chance que ma modestie m’oblige à penser unique. Le doute s’installe en elle : vais-je tomber sur son répondeur ? Ce serait un coup terrible, une muflerie sans borne ! Et alors, elle reviendrait à la raison, se rappellerait que je ne suis qu’un pauvre type rencontré dans un bar, et m’oublierait.

Malgré tout, il faudra bien essayer, pour être sûr.

Le téléphone sonne. Le mien. Pour de vrai. Je sais que c’est elle parce que son numéro s’affiche, son numéro s’affiche, son numéro que je connais par cœur pour l’avoir composé en boucle depuis une semaine, refusant d’utiliser la touche rappel par pure superstition. Je décroche, et je fais tout pour masquer l’émotion de ma voix, priant que qu’elle la sente malgré tout.

« Allo

-  Oui, allo

-  Heu, je sais pas si tu te souviens, mais, heu, on s’est vu dans un bar y a une semaine, et heu, je t’ai embrassé sauvagement, et heu, tu te souviens ?

-  Bien sûr

-  Cool ! Parce que je me souviens plus trop bien. Mais je sais que c’était bien. Bien ou super bien ? Ca je sais plus trop. Tu vois le problème ?

-  Oui, oui, c’est un gros problème.

-  Ah bien. Je sentais que tu comprendrais. Bon, parce que tu vois, je tiens des archives, et je note les mecs que j’ai embrassé, et là, j’hésite pour la note, alors faut qu’on s’revoie, pour que j’sois bien sûre. »

Sa voix est pleine de tension. Manifestement, elle aussi a attendu avant de me rappeler, et ça n’a pas été si facile. Bon point pour moi. Elle essaie d’être plus cool qu’elle l’est vraiment. Ou peut-être est-ce juste moi qui veux me faire croire qu’en réalité je domine la situation, alors que manifestement, je ne suis qu’au mieux un potentiel objet sexuel, au pire une statistique, à ses yeux.

« Oui, faut pas se tromper. J’veux dire, ce serait dommage. Ok. Quand ? »

Oui, quand, hein, quand. J’ai envie de toi. Je m’en fous d’être un objet sexuel.

« Ce soir ? »

La tuile, ce soir, concert pour le boulot. Vite, s’arranger pour avoir une invitation supplémentaire.

« Pas de problème. Je vais voir un nouveau groupe anglais pour mon boulot. Donne-moi ton nom et je te mets sur la liste des invitations, dis-je avec la voix du mec cool.

-  Ah, un concert, répond-elle avec une déception assez mal dissimulée. Peut-être n’aime-t-elle pas le rock ? C’est pas très intime, ça... »

Elle veut de l’intimité, moi aussi, aïe, aïe, aïe. Arranger le coup, bon sang, arranger le coup.

« T’inquiète, c’est pas un problème. Chaque endroit contient sa zone de tranquillité, suffit de la connaître. Et puis, rien n’empêche de bouger après.

-  Oui, oui, bien sûr. (Petit blanc. Elle réfléchit, semble-t-il. Putain, pourquoi ça doit se passer comme ça ?) D’abord bouger, ensuite parler, enfin noter. »

Le ton de la conversation était devenu très factuel. Le temps de fixer une heure, et un lieu de rendez-vous, et tout est réglé. L’excitation est retombée comme un vieux flan. Il y avait pourtant eu tellement de tension dans les premiers mots... Mais la gravité a bien vite fait son effet, nous faisant retomber dans la banalité quotidienne.

Bon, voyons en même temps les choses telles qu’elles sont : je me rends ce soir à un concert qui s’annonce très chaud, avec une femme qui s’annonce très ... attirante, et bien disposée à mon égard. Je devrais sauter de joie, et ne penser à aucun jeu de mots.

En attendant, que faire ? Prendre une douche, changer de sous-vêtements. Aller bosser et filer directement après. S’habiller en négligé chic. Faire en sorte que la coupe de cheveux soit bien en ordre. Et en même temps, je ne sais même pas si c’est ce qui compte. Car quand je me regarde dans la glace, que vois-je ? J’ai passé les trente ans, mais mon métier exige que je reste cool. J’entretiens mon corps, je suis à la dernière mode, tant vestimentaire que capillaire. La vigueur de la jeunesse, la force de la sagesse. Ou juste quelqu’un qui essaie de faire croire qu’il a dix ans de moins. Je suis parfaitement inauthentique.

Ca ne m’a jamais gêné jusqu’à présent et pour une histoire d’un soir, il n’y a strictement aucun problème. Mais mon corps me dit depuis une semaine que ce baiser m’a touché, et, que je le veuille ou non, j’ai envie de plaire à cette femme, et pas de façon superficielle. Je la veux ! Et elle m’a rappelé. Malgré le détachement dans sa voix, peut-être brûle-t-elle pour moi.

Ne plus penser. Je ne sais pas réfléchir et ne l’ai jamais su. Bosser, passer ma merde, et ce soir, peut-être que ce sera une noche de accion ou le début d’une grande amitié. Dans tous les cas, ça promet.

Air : Playground love

Au boulot, j’ai du mal à me concentrer. Inconsciemment, je n’ai filtré que des déclarations d’amour. La radio, le public, ça motive. Les kids rivalisent de grivoiseries quand ils sont à l’antenne. Certains sont très assurés, les cracks, ceux qui font du foot, et dont la motivation est encore de se taper le plus de filles avant de mourir. Ils ont appris le cul avec XXL, et s’ils n’ont pas encore tous les tics, ils visent à l’annihilation de tout sentiment lors de l’acte sexuel. Chirurgical. Pour l’instant, ils friment, demandent du gros gangsta rap, ou de la techno pétasse.

Pour d’autres, on sent que c’est plus compliqué, que ça leur tourne dans la tête depuis pas mal de temps. Cette fille au premier rang de la classe qui te rend fou, et tu ne sais pas lui parler. Tu n’as aucune idée de ce qu’il y a dans sa tête, mais tu doutes que tu y sois. En même temps, je sais que ça te fait mal, tu aimerais que ça sorte, tu y penses constamment, mais quand tu es face à elle, rien ne vient. Ca ne veut pas. Tu te sens comme une merde. Heureusement que je suis là. Les timides, je les repère assez facilement, et somme toute, je dois bien dire que je les aime bien. Je les fais répéter ce qu’ils vont dire, car ils n’auront pas beaucoup de temps à l’antenne, avec en plus la pression du direct. Je veux que ce soit le moins dangereux pour eux, même si je ne suis pas idiot. L’issue de ce genre de message est le plus souvent funeste. Dans quelques, cas, oui, cela les aide à conclure. Mais, déjà, malheureusement, tout le monde ne m’écoute pas, et puis la radio ne guérit pas de l’acné, ni du manque de charisme. Alors, à l’école, quand le message est passé, les réactions arrivent : le loser peut alors devenir encore plus loser, tout le monde se moquera de lui, répètera à l’envie, en se moquant, ses paroles les plus sincères. Beaucoup de souffrances, certainement. Mais au moins, j’ai fait ma parole, j’ai fait accoucher cette parole, et tout le monde après sait où il en est. Le succès advient parfois, aussi.

Pris dans le flux de mon émission et dans mes pensées concernant ce soir, je ne songe pas forcément à cela. Je suis même tellement satisfait de moi que je termine mon émission sur une auto-dédicace. Bien sûr, pas directement, mais, honnêtement, quel collégien demanderait playground love pour sa petite amie ?

Un petit écart dans ma programmation. Pas grave. Personne n’a rien entendu. Personne n’écoute vraiment de toute façon.

Mano Negra : Noche de accion

En arrivant à la salle de concert, je me rends compte, que je n’ai pas fixé de lieu de rendez-vous précis à Veronika. Il y a des centaines de personnes devant la salle, comment la retrouver ? J’essaie de l’appeler, mais comme d’habitude, pas de réponse. Que va-t-il se passer si je ne la trouve pas ?

Je sors de la bouche de métro, je suis troublé, je m’en veux d’avoir à ce point merdé.

Quand soudain, je la vois, éclatante. Une robe superbe, rouge pétant, rouge technicolor, la touche femme fatale en plus. « Ma chère, vous me faites peur autant qu’envie. Est-ce un piège que vous avez préparé pour moi ?
-  Si c’est un piège, avouez que je serais idiote de vous prévenir. C’est à vos risques et périls. Mais si vous voulez une bonne note dans mon calepin, vous avez intérêt à me suivre. Alors, on y va, à ce concert ?
-  Oui, je prends le risque de vous suivre. »

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