Dans la même rubrique
- La plateforme
- Le retour de Jean-Claude Duvalier
- Trois ans et toutes mes dents
- On a un problème avec les Blancs ?
- Le SdeuxEUR
- Le Grand Chef au Môle Saint Nicolas
- Cartago
- Des réflexes et des réminiscences
etc.

Autres piges de
Le Grand Chef

- Légifrance.fr
- Pendaison
- Que faire du Chroniqueur Sportif ?
- Le Grand Chef à Cuba 2/ ?
- Mes fantômes
- Complément au décret 69872345SERT nommant le ministre de la Ravouille
- Le Grand Chef en Amérique
- Adulte
etc.


O
ù kon est ?
> Rubrix > Bagne

Changements

Par Le Grand Chef , le vendredi 2 mai 2008.

On pourrait croire à des changements radicaux dans l’île du Grand Chef, rapport à l’urgence de nourrir le peuple et faire évoluer la politique agricole générale pour un avenir alimentaire meilleur [1] Mais non, pas tant que ça. Néanmoins, dans la vie quotidienne du Grand Chef, qui est la pierre de touche des évolutions de ce vaste monde, il y a tout de même eu quelques évolutions.

D’abord c’est la saison des mangues. Elles se balancent innocemment au bout des branches, débordent des clôtures pour visiter le voisinage, ignorant la menace qui pèse sur elles. Petites choses ignardes. En vérité, elles seront toutes vendues ou mangées un jour. Toutes les marchandes vendent des montagnes de mangues. Vertes et jaunes. Dans tous les coins de Port-au-Grand-Chef il y a des monticules du fruit orange et filandreux quand trop mûr. Grosses ou petites. A leur place, je n’arriverai pas comme ça toutes ensembles, je ne ferai pas pareillement don de moi-même et toute mon espèce en un coup. Très évidemment, ce débarquement brutal les dévalue. Alors que ce jus lourd qui coule de chaque côté des commissures de vos lèvres, ce noyau introuvable dans l’épaisseur charnue, cette peau détachable en trois coups de couteau, voilà qui mérite plus. Je m’en vais leur faire un agenda de commercialisation moi. En tout cas, le Grand Chef est tout empli de bêta carotène depuis deux semaines.

Ensuite, dans la cour qui jouxte le haut mur du palais chéfial, se trouve depuis des temps immémoriaux - hélas - un coq aux cordes vocales excessivement puissantes. Ceci tient audiblement au terroir local, puisque la totalité des coqs de Port-au-Grand-Chef possèdent cette même « qualité » que je dirai plus volontiers défaut. Et les gallinacés se livrent la nuit bataille de leurs organes. On les pense guerriers et les utilise pour faire des combats dans des arènes à leurs échelles, mais en réalité, la seule joute qui leur plaise est celle du chant. Dans la nuit profonde du blackout les centaines de rois des basses cours jouent leurs chateaux sur un coup de gorge. Ainsi la vague sonore passe-t-elle par Pacot, s’étire vers Croix des prés avant de refluer d’un côté vers Carrefour feuilles, de l’autre vers Christ Roi, puis vient balancer Canapé vert et Nazon avant de prendre à nouveau l’assaut de Turgeau [2] Le premier qui s’endort, la tête sous l’aile, a perdu. Si vous contemplez le spectacle de la tourelle chéfiale, vous ne pouvez rien voir de ces féroces rixes, mais vous pouvez tout entendre des prises de trône et arrêts subis de lignées pluri-décennales. A Port-au-Grand-Chef, les troubadours coquets sont les vrais seigneurs de l’espace.

Evidemment, comme vous avez bien lu le titre de l’article, vous êtes déjà en train de fourbir votre plume pour m’envoyer un frais message m’informant que je délire et ne parle non point d’innovations mais de traditions. Vous vous trompez comme toujours, les coqs c’était pour le contexte général et pour bien souligner le contraste qui va suivre.

Habituée et contrainte depuis de longs mois à cette ambiance dans les cours, je ne m’en souciais plus guère, ni mon tympan droit d’ailleurs, pourtant le plus sensible. Mais il suffit d’un « glouglou » facétieux pour venir casser l’habituelle constance de mon environnement sonore. Je fronçai le sourcil gauche (opposé au tympan droit) et n’y prêtai pas plus d’attention. Mais il me vint bien vite à l’esprit que le coq, s’il faisait des « glouglous », devait ne plus être un coq et que je pourrai sans doute savoir rapidement de quoi il retournait pour mes jours et mes nuits en jetant un œil par la fenêtre. Je fis. Horreur. Un glouglou oui parfaitement, il y a un glouglou tout en bas de mon home. Je n’avais point vu de dindon depuis mes six ans, âge auquel je décidai que l’inutile grotesque et la laideur crasse de la bête ne méritait aucune visite de courtoisie (à l’inverse des poussins, petits canards, agneaux, veaux, chevreaux et leur parenté) et lui tournai le dos. J’estime que lorsque la création fait des erreurs aussi lamentables, il n’est aucune valable de lui porter caution. J’exècre donc les dindons, dont le vilain aspect est une insulte à la poésie terrestre. Et voilà qu’une décision de l’enfance chéfiale, par définition inamovible, de nier luer existence est mise à mal le voisinage ingrat. A l’heure qu’il est, entre deux roues de bicyclettes sur lesquelles sèchent deux poissons, un tas de bouteilles vides et les deux fils à linge, se promène le goitre rougeau et piqueté du nouveau locataire emplumé qui dit trop bien sa joie de son emménagement. Comment lutter ?


Notes :

[1] Copyright de l’expression : Rénette Désir, chanteuse haïtienne, qui nous a lâché le mot en plein concert.

[2] Ce sont des quartiers de Port-au-Grand-Chef, vous devriez avoir compris tous seuls, mais on ne sait jamais avec vous. Attention il y a un piège, Turgeau n’est pas un quartier, mais une rue.

Répondre à cet article


Bagne