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Exotique parisien

Par Le Grand Chef , le mardi 27 mai 2008.

On est exotique vu de l’extérieur. Le Grand Chef est désormais extérieur à force de séjourner dans son île. Du coup, lorsqu’il a mis le pied à la kapitale des Franciens, il a subitement trouvé beaucoup de choses hors du commun. Exotiques.

D’abord il y a les boulangeries. Vous arrivez le nez en l’air, après vous être assurés que vous avez 3 euros en poche pour vos folies intestinales - augmentation du prix du blé oblige - et vous tombez dans l’antre de Dionysos. Devant un alignement de pots de confiture hors de prix, une femme à l’âge indéfinissable, d’une humeur bonne qui pourrait tout aussi bien être exécrable, vous interroge. Toute la question est contenue le regard. Pas un mot ne sort de sa bouche. Le bras gauche se tend déjà vers l’arrière (les baguettes), tandis que l’autre s’approche de la pelle à gâteau. Oui au fond, que veut manger le Grand Chef ? Subitement le voilà déstabilisé (chose rare, soulignons le). Le corps distordu de la boulangère commence à faire peine au Grand Chef, moins sans doute que la pression sur ses talons des gourmands qui trépignent dans la queue derrière lui. Il faut se décider et vite. Mais l’avalanche de pains au chocolat, au lait, aux raisins, de croissants (au beurre ? aux amandes ?), d’éclairs, de tartelettes, de religieuses, de divorcés, d’opéras, de babas et de Paris-Brest a de quoi laisser pantois. La vitrine brille. Je panique un poil et murmure un mot puis deux. Car on ne fait pas un bon goûter sans une demi baguette à avaler sur la route. Je sors soulagée. L’exotisme à la française est parfois une épreuve.

Je grimpe sur mon vélo. Le pain au chocolat a déjà commencé à graisser son papier enveloppant. Je me sens incroyablement libre et en sécurité sur ce cheval à pneus. Les voitures me frôlent bien moins que piétonne sur la chaussée port-au-princienne et les klaxons ne retentissent pas à chaque croisement. L’ordre mécanique brille de son roulement parfait. Feu rouge, feu vert, chacun y va de son autorisation et le balai s’agence merveilleusement. Les pavés de la place de la Bastille paraissent jointoyés au poil. Et quand le soleil se couche, tous les becs de gaz s’allument. Les néons, les publicités. On peut rouler sans phares dans Paris la nuit. On peut voir le visage du piéton que l’on croise. On peut savoir où aller, sans même connaître la ville : à chaque croisement un plan, un panneau, une indication. On n’est jamais perdu dans Paris, tout le monde sait ça. Et pourtant il y a des centaines de rues avec des étoiles dans les yeux : rue de la lune, rue du papillon bleu, rue de paradis, des rues dix neuvièmistes et napoléonniennes, des rues toponymiques, des rues politiques et des rues de canard Morillon. Des capitales européennes en pagaille. Des rues qui montent et descendent, qui se croisent et font des nœuds, des rues au cordeau autour de la tour Saint-Jacques voilée. Des rues emprisonnées par l’hôpital Saint-Louis et la Salpetrière. Des rues comme un boudoir pour le dôme du Val de grâce et un tapis pour le Luxembourg. Des rues plus basses que le niveau de la mer, Austerlitz creusant Chevaleret. Des rues qu’on croise partout mais dont on ne comprend jamais le débouché, Vaugirard, Villette. Des dizaines de rues d’anciens propriétaires. Un vaste lotissement privé, une entreprise immobilière. Des rues du retrait, du repos pour piquer un roupillon après avoir visité les morts.

Paris.

Je m’excuse, tout ça m’entraîne dans une parenthèse nostalgique.

Cette nuit j’ai rêvé que le Ritz était entre Notre Dame et la place Saint-Michel. Et qu’il y avait des boulangeries ouvertes le dimanche dans le VIIe arrondissement. Je crois que ta géographie se délite, bien qu’on s’y retrouve toujours.

Paris des heures durant à battre ton pavé, ton pavé qui a disparu si souvent. De Montmartre à Brassens, des Champs à la place des fêtes. Rendez moi à Paris. Que je la prenne dans mes bras et l’étouffe comme le périphérique. Une heure, juste une heure, rendez moi. Que ma litière prenne les eaux atlantiques et mes porteurs se noient. Qu’encroutée dans le sel après des miles d’horizon azur j’accoste à la Hague prendre ma dose d’irradiation. Qu’un train normand me rapporte, je paierai l’amende au contrôleur. Je traverserai l’ouest et serai courtoise avec la bourgeoisie. Je promets de descendre de vélo sur la dalle de la Défense et de ne pas tapoter les toits des Porsche qui me passeront sous la main avenue de la grande armée, comme si la finance accumulée n’était que de braves chiens. Je ne grillerai aucun feu et regarderai à droite puis à gauche place de la Concorde bien qu’elle soit en sens unique. Je ne marcherai pas sur le trottoir interdit de l’Elysée. Je veux passer les ponts au dessus des gares du nord et de l’est. Je veux, sans les mains, prendre la courbe du canal au bout des Récollets. Je veux sentir la bise entre la conciergerie et la place dauphine. Je n’ai pas le sens de l’exil. Je veux boire un café en haut du parc de Belleville.

Je veux ma part d’exotisme.

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