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La reine du silence, un livre de Marie Nimier (2004)
« Mon père a trouvé la mort un vendredi soir, il avait 36 ans. Son Aston Martin DB4 s’est écrasée contre le parapet du pont qui enjambe le carrefour des routes nationales 307 et 311, à quelques kilomètres de Paris. La voiture roulait sur la file de gauche lorsqu’elle vira à droite en freinant sans que rien puisse expliquer ce brusque écart de conduite. Elle faucha sept bornes de béton avant de s’immobiliser. La jeune femme qui était assise à ses côtés, une romancière au nom exotique, venait de signer chez Gallimard le service de presse de son premier livre. Sunsiaré de Larcône avait 27 ans. Elle était d’une beauté peu commune.
Il n’y a rien à raconter, n’est-ce pas, rien à dire de cette relation. Je n’étais pas dans la voiture. J’avais 5 ans. Je n’avais pas vu mon père depuis des mois. Il n’habitait plus la maison. » (p.9, édition Gallimard, collection blanche) Comment faire le deuil de quelqu’un qu’on a pas vraiment connu, mais à qui les autres nous renvoient constamment ? La réponse, Marie Nimier, fille de Roger Nimier, écrivain de droite (mouvement des hussards bleus) célèbre au début des années 50, ne la donnera pas, car il n’y en a pas. Ce livre, La Reine du silence, est le récit de cet échec. Marie Nimier tente de reconstituer les faits, pas tellement ceux de l’accident, plutôt ceux qui l’ont immédiatement précédé et suivi. Quelles causes ? Quelles conséquences ? Mais cette enquête dérive rapidement sur autre chose : comment parler de son père mort sans qu’on l’ait connu ? Comment vivre sans lui ? Question d’autant plus horrible que manifestement son père ne l’aimait pas. Ainsi, Marie Nimier retrouve des lettres écrites par son père et mises en vente aux enchères. Celui-ci écrit lors de sa naissance : « Au fait, Nadine a eu une fille hier. J’ai été immédiatement la noyer dans la Seine pour ne plus en entendre parler. » (p.120). Comment établir une relation après ça ? Le style de Marie Nimier est direct, et le livre court. Elle s’adresse directement au lecteur, le tutoie, parce que ce livre est comme une confidence faite à un inconnu, pour dire les choses qui font mal, et qu’on oserait pas dire à un proche. C’est un work-in-progress d’un livre impossible, parce que la réconciliation finale avec le père est fragile, presqu’arrachée, et que la retravailler pour en faire une biographie conventionnelle n’aurait aucun sens. En même temps, on connaît Marie Nimier pour son talent de manipulatrice. Dans son dernier livre, les inséparables, elle met en scène des souvenirs de personnages fictifs. Il ne s’agirait donc pas de croire que La Reine du silence est une oeuvre inachevée, à peine plus qu’un brouillon. Sa forme est parfaitement adaptée à son propos, fragmentaire parce que le sujet l’exige, parce qu’il y a certaines plaies qu’on peut entrouvrir, mais qu’il serait indécent d’exposer à tout le monde. Parce qu’on en apprend plus par le récit anodin d’un permis de conduire raté que par une accumulation de témoignages. Peut-être est-ce pour cela qu’on peut parler d’auto-fiction plus que de témoignage. Il y a plus ici que le récit d’une petite fille ayant perdu son papa trop tôt. Il y a la littérature, et comment l’écriture permet de faire la paix avec ceux qui ne sont plus là. Pour en savoir plus sur Marie Nimier : L’article que j’ai écrit sur les inséparables sur le blog de l’escale du livre 2009 Le site officiel de Marie Nimier Le portrait de Marie Nimier est tiré du site officiel de l’écrivaine.
La couverture de La Reine du silence est tiré du site amazon.fr. Pavé ISBD : LA REINE DU SILENCE [2004] , 176 pages, 140 x 205 mm. Collection blanche, Gallimard -memo. ISBN 2070771547. 14,50 €
le même ouvrage , 208 pages sous couv. ill., 108 x 178 mm. Collection Folio (No 4315) (2006), Gallimard -mémo. ISBN 9782070320844. 6,00 €
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