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Il est incroyable

Par Le Grand Chef , le jeudi 21 septembre 2006.

Ce matin, moi, Grand Chef, j’ai reçu dans mon bureau un émissaire tremblant poussé sur le rouge tapis par mes gardes en chocolat (suisse). Le petit être pataud était totalement inconnu de mes sévices. "Craintif" l’appelé-je, "approche et donne la raison de ta visite au palais chéfial". Prononçant ces paroles, je pris mon air le plus courroucé et le plus sévère afin que, sous le coup de la frayeur, il crache plus vite le morceau, j’avais pas que ça à faire.

"J’ai fait une terrible découverte sur la réaction en chaîne" siffla-t-il entre ses dents grises.

Flûte flûte me dis-je intérieurement. Encore un dingue qui croit pouvoir me vendre une nouvelle machine de guerre thermo-nucléaire à la James Bond, alors que j’en ai fichtre rien à faire, puisqu’en Luciocratie règne la paix absolue du contrôle total. Il faut vraiment que je recrute quelqu’un à l’accueil.

Je fis un "Ah" sans point d’interrogation, mais mon interlocuteur se méprit.

"C’est-à-dire que voyez, enfin - et là je crus craquer, je ne supporte pas qu’on se tortille sur mes tapis aux yeux persants - puisque ça concerne un peu beaucoup l’un de vos ministres, je ne sais trop s’il faut que je parle." En somme à ce point de la délation, et comme j’adore la délation, je le pressai de poursuivre :

"- Quel ministre ?
-  Celui qu’oublie tout."

Flûte flûte. Mon imagination galopant terriblement vite sur les potentiels méfaits du ministre de l’oubli, je brandis la menace pour avoir le fin mot de l’histoire :

"Raconte et fais vite, sinon je t’envoie au Bangladesh !" Intimation chéfiale qui eut son efficacité.

"Ben justement, c’est pas très loin du Bangladesh. C’est que le ministre de l’Oubli, j’ai un ami, un vieil ami qu’a connu ma pauv’ mère, qu’est totalement digne de foi, je vous assure Grand Chef, qui l’a rencontré vot’ ministre à l’Ambassade de Francie en Thaïlandie le jour où il s’y est rendu pour son passeport volé. Puisqu’il avait oublié ses papiers pour se faire refaire ses papiers, vot’ Ministre a fait écrire un p’tit mot à mon ami de l’Ambassade pour dire qu’il reviendrait se faire refaire ses papiers." Abrège fit mon esprit impatient, j’ai envie de boire mon chocolat chaud du matin.

"Mon ami qu’a bien connu ma pauv’ mère disparue dans de si terribles conditions que j’en pleure encore, a juste eu le temps de lire le petit mot avant qu’emporté par une bourrasque, le petit mot sur vélin surfin prenne la poudre d’escampette par la fenêtre ouverte.

Le p’tit mot est donc parti vivre sa vie dans les airs pollués, il a survécu aux bourrasques automobiles et aux couperets des gratte ciels et il a atterri sur le bureau du général Sonthi. Les soldats très occupés à se limer les ongles des doigts de pieds n’ont pas vu arriver le petit bout de papier.

Quand il est revenu de son tour d’éléphant, le général Sonthi a trouvé ce mot sorti de nulle part, et l’a pris pour l’habituel rapport de son espion françien chargé d’épier les faits et gestes du gouvernement thaïlandien. Le général a toujours dit que si un jour il réussissait à prendre le pouvoir, de préférence par la force - parce que ça fait plus sérieux, ce serait grâce à cet espion.

Après avoir lu le p’tit mot, le général aurait donné le signal à ses troupes que l’affaire était emballée, et qu’ils pouvaient grimper dans leurs chars vers le palais du premier Ministre pour mettre à bas le mou régime."

Mu par un légitime soupçon né de la lecture de la presse internationale, je demandai à mon rapporteur sorti de nulle part l’exact contenu de la brève dictée par mon Ministre.

"Ben, c’est là que ça se corse, apparemment, y avait d’écrit : Affaires truandées. Le Ministre reviendra quand il aura trouvé les justificatifs de son Etat."

Soupir, encore une méprise sur une majuscule, si mon Ministre corrigeait correctement les dictées de ses scribes, il y aurait moins de putsch en ce bas monde.

Et sur ces entrefaits, j’allai déguster mon hot chocolate.

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Bagne