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Mais que fait le Grand Chef ?
Direction : Pétionville. Non. Direction : les blocus [1]. Turgeau, Canapé vert, Bourdon. Tout pareil, partout des 4x4 qui se reniflent et s’entre excluent. Des tap tap qui luttent au milieu. Le Grand Chef n’a pas l’esprit à se laisser entraîner par les klaxons et contemple impassible les marchandises de bord de route. L’économie du blocus est une chose trop sous-estimée. Guirlandes de Noël ? Non merci monsieur, mais ça vous va très bien. Un pot de fleur ? Le Grand Chef n’est pas jardinier. Une grille en fer forgée ? Le Grand Chef n’a pas besoin d’être décorativement protégé. Les yeux attrapent l’affiche de Wyclef et Akon bras croisés annonçant leur concert prochain sur le champ de Mars. Hystérie foulesque en perspective. Tût tût, il va bien falloir qu’on passe pourtant, sans quoi nous serons en retard. En retard pour quoi ? Tût tût. Pour mettre votre dictatrice préférée dans un grand bain d’eau pardi ! 1 heure après, c’est chose faite. Je flotte seule dans la piscine sous les étoiles. Les guirlandes de Noël grimpent aux arbres. Il fait nuit noire. Pétionville est perchée dans le creux de deux mornes, en surplomb de Port-au-Prince qui ne lui a rien demandé. Des collines encore vertes se sont tapissées de charmants bidonvilles. On aperçoit aussi le quartier haute sécurité et ses villas immenses. L’altitude des lieux signifie qu’une fois qu’on a escaladé jusque là avec le courageux pick up, il faut toujours redescendre (et d’aucun prétendent qu’il faut prendre une petite laine quand on va à Pétionville le soir). Direction la terrasse de la kay rue 2 pour une initiation au yoga. Les étoiles participent en s’étirant au-dessus du port. Bien détendue, je marche avec une petite troupe jusqu’à l’hôtel Olofson où ils sont mal aimables. Mais il n’y a pas 36 lieux où régaler votre chef. Un Anglais passe avec son monocle sous la longue galerie blanche. Au réveil le lendemain, un chien hurle son dégoût de partager sa cour avec un chien plus petit. Il est vrai que la chose est passablement scandaleuse. La litanie religieuse éreinte mes oreilles. Je sors du lit. Il faut descendre à côté du champ de Mars pour voir Samantha. Samantha est préposée à la livraison de billets d’avion à l’agence Chatelain. Elle ne parle pas avec la bouche. Uniquement avec le nez. Pour l’atteindre, il a fallu fendre une foule immense qui faisait procession pour commémorer le miracle de l’éradication de la petite vérole d’Haïti il y a 125 ans. Une fois à son bureau, la radio continue à diffuser que Jésus est vraiment très fort d’avoir fait une telle chose. En stéréo avec le serpent de chanteurs qui se déroule à l’extérieur. Les billets en main, retour sur le champ de Mars. Le Grand Chef qui est urbaniste à ses heures voue une adoration sans limite au champ de Mars. Grand espace public traversé de voies trop larges, il distribue les 3 cinémas américains, l’ambassade de France, le palais national surblanchi au soleil qui cligne de l’œil à la statue du Nègre marron. Et autres futilités (le musée d’art haïtien, l’ignoble monument commémoratif de l’indépendance avec ses 200 marches). Là démarre la remontée vers l’avenue Christophe. Le soleil qui est balot ne trouve rien de mieux à faire que taper. Le Grand Chef est eau. Le Grand Chef aime tellement le champ de Mars qu’il va faire l’économie de la description du reste de son samedi pour arriver directement au dimanche matin où j’ai eu la joie de revenir vers ce haut lieu (en bas la ville néanmoins). Pour passer plus loin encore jusqu’à l’école Sainte-Trinité où le philharmonique faisait écrin à deux violoncelles. Le chef d’orchestre jouait des manches et tapotait au piano en mélodie au concerto. Deux heures qui s’achevèrent avec une composition haïtienne qui embaumait la feuille lourde et vernie d’un sous bois humide. A la sortie sur le toujours champ de Mars il y avait une course de voiture. Puisque j’étais encore descendue, il a fallu à nouveau remonter. Vous noterez que ma nouvelle vie est une affaire de montée-descente. C’est la raison pour laquelle il y a des piscines disséminées aux différents niveaux des ascensions. Et raison pour laquelle aussi on prend toujours la voiture pour aller chez le marchand d’eau qui remplit les galons avec une indolence chaleureuse. Pour ça aussi que les caniveaux, s’ils existent, sont dévalés à toute berzingue par les eaux usées, et que la même pression se retrouve dans les tuyaux de la [2], lorsque l’un d’eux a été malencontreusement percé par la réfection des trottoirs, formant une fontaine spontanée au milieu de la rue. Abondance dans une ville asséchée. Ceci dit un cyclone se prépare pour ce soir.
[1] embouteillages [2] CAMEP Centrale des eaux de la métropole
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Bagne
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