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Chronique par Benjamin S.

Cette femme là
Un polar de Guillaume Nicloux
Par Benjamin S., Jeuniste du prix et de la mornographie , le vendredi 18 mars 2005.

De quoi ça parle ?

Michèle Varin (Josiane Balsko, excellente), est capitaine de police dans la région de Fontainebleau, et enquête sur le suicide d’une femme que personne ne connaît et à qui il manque une chaussure. A l’opposé, Michèle a un bel imper, mais son fils est mort le 29 Février, 4 années auparavant. L’histoire commence le 22 Février, c’est donc bientôt un triste anniversaire, Michèle fait des insomnies, et des cauchemars quand elle s’endort. Pendant ce temps-là, les commerces du coin se font braquer, mais tout le monde s’en fout.

Quels sont les enjeux ?

Pour situer les débats, Guillaume Nicloux est le réalisateur du polar ‘culte’ le Poulpe, et il a déjà travaillé sur l’image d’un ancien du splendide avec Une affaire privée starring Thierry Lhermitte (que je n’ai pas vu, c’est donc un très bon film).
La question, qui était déjà à l’œuvre dans le Poulpe, c’est comment faire un policier, actuellement, en France, qui n’ai l’air, ni de Navarro, ni de Seven (style Les rivières pourpres assez tiédasses). Pour s’en sortir, Nicloux mise 1 - sur un scénario ultra opaque, 2 - sur une esthétique sombre, et 3 - sur une vision pour le moins glauque de la France. Un peu comme le Poulpe donc, mais en pas drôle.

1 - Un scénario opaque

Un film de Nicloux, fonctionne toujours avec des histoires au premier plan, et des histoires au second plan, dont on se fout un peu, mais qui en fait sont très importantes. Dans le Poulpe, on avait l’enquête sur la profanation, l’assassinat dans le sous-marin, la disparition d’un gosse, la campagne d’un parti politique d’extrême droite, et un ou deux trucs obscurs en plus. Cette femme là, n’est pas un film plus simple : il y a une femme suicidée que personne ne connaît : histoire de premier plan, et il y a des braqueurs de petits commerces, arrière plan. Entre les deux, il y a des éléments plus ou moins secondaires : un asile psychiatrique pour le moins spécial, des détectives privés qui se font casser la gueule, des impers qui disparaissent, des cauchemars avec des mecs en imper (ça n’a pas forcément de rapport), des gens aux identités compliquées, etc., etc.

Je pourrais vous raconter tout le film, vous ne comprendriez pas forcément tout, et personnellement je n’ai pas trop saisi. Comme dans le Poulpe, en fait. L’intéressant, c’est que dans un policier normal, on suit toujours un schéma type Hercule Poirot : pleins d’indices dispersés, des histoires qui se recoupent plus ou moins, et à la fin, le détective donne l’explication, une explication si convaincante qu’elle pousse l’accusé à avouer. Ici, on pense qu’on est dans le schéma, d’ailleurs Balasko fait tout le temps des puzzles, mais une fois le film terminé, on en sait pas vraiment plus.

2 - Une esthétique sombre

Cette femme là est un film où le fond et la forme sont en accord parfait, le scénario est obscur, la mise en scène est glauque. D’abord au niveau des éclairages, on est complètement dans une esthétique Seven, quand il fait jour, il pleut, et quand il fait nuit, on allume pas la grande lumière, mais juste la lampe de chevet, des fois qu’il y aurait un tueur psychopathe dans le coin. C’est un peu artificiel.

Au niveau des mouvements de caméras, le film regorge de travellings en profondeur, soit vers l’avant, soit vers l’arrière. A ce niveau là, la bande-annonce est très représentative du film. Le film m’a beaucoup fait penser à un des derniers plans du Ghost In The Shell de Mamoru Oshii, quand après la fusillade dans le hangar, la caméra fait un travelling avant à l’intérieur de la maison de Batou, pour aboutir sur Motoko dans un corps d’enfant. C’est vraiment ce type de plan, répété à l’infini.

Un bon point par contre (encore que ce qui précède n’était pas forcément négatif), pour les rêves, qui sont complètement intégrés dans le film, à tel point qu’à la fin on distingue plus rien. En fait, dans l’ensemble, toute la mise en scène vise à détruire toute idée de clarté et de distinction : les lumières sont sombres, les mouvements de caméra répétitifs apportent de la cohérence à une action qui part dans tous les sens, et le rêve n’est jamais distinct de la réalité.

3 - Une vision glauque de la France

Un ami avec qui j’ai vu le film m’a dit qu’il avait beaucoup pensé à Derrick, pas à cause de l’ennui, mais pour le côté dégueulé de la chose. Et effectivement, c’est du crade. Balasko donne tout dans le glauque : on voit ses vieux pis traîner sur la couverture du lit, faire des puzzles assez hideux, pisser en pleurant, et d’autres choses assez abominables. Les papiers peints sont atroces, il y a des gens qui habitent dans des mobile-homes, tous ont des dégaines de rednecks profonds (on pense assez aux bouseux du Gummo d’Harmony Korine) : il y a des gosses avec des mulets, des vétérinaires avec des barbes type Jean-Claude Gianada (le chanteur catholique bien connu de ceux qui fréquentent mes chiottes), et d’autres barbus indescriptibles. Tous les persos portent les stigmates physiques de leur exclusion morale : abandon ou mort d’enfant, suicides, sado-masochisme, hôpitaux psy, vieux à l’abandon, etc., c’est assez chargé.

Ce qui fait que dans l’ensemble le film trace un portrait glauque d’au moins une certaine partie de la France : une atmosphère sombre, des faits incompréhensibles, une population aliénée.

Et alors, c’est bien ?

C’est décevant. Il y a beaucoup de bons points, le film est très cohérent, esthétiquement réussi, il fait peur. Mais il y a un gros point noir, c’est que tout ça ne débouche sur rien. Comme un soufflé qui retombe.
Peut-être que c’est juste parce qu’on comprend pas, peut-être que c’est fait exprès qu’on comprenne pas pour qu’on croie qu’on a raté quelque chose de plus profond, mais il n’empêche, qu’à la fin, la réaction, c’est juste : ah bon ! tout ça pour ça ! Un film très appliqué, mais qui ne laisse pas beaucoup de traces après l’avoir vu, c’est vraiment, vraiment dommage.

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