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Le Grand Chef en Amérique

Par Le Grand Chef , le jeudi 26 juin 2008.

Les Etats-Unis, c’est comme Cuba.

Il y a de l’électricité et les routes sont lisses. Alors que chez Toussaint Louverture [1], pendant qu’on attend calmement l’avion chéfial, une panne d’électricité s’installe le plus naturellement du monde et éteint tout de la sandwicherie à la tour de contrôle en passant par la télé qui diffuse l’Euro sous la neige. Absolument personne ne s’indigne (sauf le Grand Chef qui a une grande capacité d’indignation comme chacun sait). Finalement, nous parvenons tout de même à quitter Haïti. On survole les marais de Miami emplis de crocrodiles. Les canaux sont parfaitement rectilignes et les neighbooroud organisées en rectangles autour des étangs coupés au cordeau. On joue avec les traditionnelles machines de guerre de la sécurité aéroportuaire. Non non, je n’ai pas d’explosifs et je n’ai pas participé à la seconde guerre mondiale du côté des nazis (je suis toujours tentée de cocher « oui » dans les petites cases de ce formulaire absurde que les gringos s’acharnent à distribuer pour autoriser le séjour sur leur territoire, mais on m’a tant répété que les bougres n’avaient pas d’humour de ce point de vue là que je ne l’ai jamais fait). On s’engueule avec American Airlâches (Mon accompagnatrice n’a pas cessé de clamer haut et fort, hors micro, que le but d’American est de finir par nous faire coudre des tee-shirts dans l’avion pour rentabiliser nos voyages tellement ils nous prennent pour des boat people), et grâce à eux on arrive à 1h du matin à l’hôtel après 19h de voyage. Le transport chéfial n’est plus ce qu’il était.

Avant même d’atterrir, le Grand Chef est déjà plongé dans sa mémoire. Quand il était petit, on l’a déjà emmené à Washington pour qu’il sache exactement ce qu’il gouverne et la vastitude du monde. Or il se trouve que le Grand Chef a une très bonne mémoire. Donc il reconnaît le Washington monument et tout. Et puis grâce aux images du 11 septembre, il voit parfaitement le pentagone, même dans le noir, faut dire c’est éclairé.

A l’aéroport, il y a un taxi rien que pour nous, un taxi sikh. A l’hôtel, Amadou ouvre la porte en français parce qu’il est guinéen, comme les ancêtres haïtiens. Et le serveur commente la carte des vins en expliquant qu’il parle marocain et français, mais pas berbère. Mais ça c’était le lendemain car vous imaginez bien que je ne suis pas allée manger à une heure du matin en arrivant. L’Amérique, c’est bien mélangé.

Le Grand Chef avait quand même un but pendant son voyage. Outre rencontrer la CIA pour remettre le Grand Site en marche bien sûr. La bibliothèque du Congrès. A 9h tapantes, et malgré les 8 heures de décalage horaire avec la terre luciocrate des origines, le Grand Chef était frais pimpant devant la sécurité de la Grande Library. Une fois de plus on a pu constater que le Grand Chef ne portait pas d’explosif, au soulagement général. Puis nous fîmes de grandes déclarations et de belles photos, mais en fait c’était pas ça le plus intéressant.

C’était d’aller marcher dans les rues tiens. Comme Zazie. Le pied alerte, la plante douce. Derrière moi les jacasseries ininterrompues d’une bande d’Haïtiens rigolards. Et Washington qui déroule son tapis de verdure, ses places rondes, ses employés de l’administration et ses vagabonds. Son architecture de mauvais goût, quand ça n’est pas néo-classique, c’est néo-préfabriqué. J’ai marché des heures toute seule et je ne me suis même pas fait d’ampoule. J’ai pris trois fois les mêmes trottoirs sans m’en rendre compte car je ne regardais pas du même côté. J’étais tellement heureuse à l’idée des réseaux qui coulaient sous mes pieds, de l’eau, de l’électricité, des égoûts, du gaz, des téléphones. Je suis passée à la maison blanche. Je vous passe l’entrevue, parce que de toute façon j’ai pas le droit de dévoiler qui sera le prochain président.

Je suis passée sous l’arche du quartier chinois.

J’ai marché avec à mon bras le secrétaire d’Etat, qui se trouve être aveugle. Un homme qui dit que Diderot a raison et que ne pas voir est une chance. Le Grand Chef commentant ce qu’il voit, signalant les marches, Les trottoirs qui s’affaissent à la vue de la chaussée et s’entraînant à imaginer l’obscurité en plein soleil pour entendre la lumière dans les bruits de la ville.

Je me suis acheté des baskets neuves, du café dans une grande tasse plastique que j’ai bu dans la rue, j’ai frotté les dollars dans mes mains pour voir si le vert déteint.

Un soir alors que le soleil inondait les digues de pignons en verre et les arbres aux écureuils, le Grand Chef a pris la courbe de l’étang en miroir pour le monument de Jefferson. Un marbre blanc taillé en rond. Mille écoliers et même des scouts venus lire les bribes de la constitution en lettres d’or. Au loin on voit les ballons de football voler entre les pieds des sportifs qui soufflent. Le marbre devient rose et rouge. Je m’assois dessus. Je contemple l’agencement parfait des lieux, la cime des immeubles et les lignes droites. Je médite l’agencement du monde devant le paysage vert et blanc de la capitale d’une certaine démocratie. Vous êtes dans l’Amérique qui s’assoiffe et fatigue le monde. Le seul pays qui sache fabriquer des rêves pour la planète entière. Un peu plus et le Grand Chef composait une nouvelle constitutuons luciocrate, mais il s’est vite repris, a dévoré un paquet de chips et exigé qu’on l’emmène au restaurant.

Au restaurant le Grand Chef apprit des visages consternés qu’en Haïti le premier ministre venait d’être refusé. Sentant le vent tourner et la menace s’approcher, le Grand Chef et ses comparses vidèrent plusieurs bouteilles de vin rouge californien. La nuit on entendit dans tout le district de Columbia les roulements de tambour de nos ronflements.


Notes :

[1] L’aéroport de Port-au-Grand-Chef s’appelle Toussaint Louverture


Bagne