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Aquin taquin
Une nouvelle aventure du Grand Chef hors de Port-au-Prince
Par Le Grand Chef , le lundi 10 novembre 2008.

Il y a des volontaires partout. Et pas seulement dans le Plateau central. Il y a un volontaire qui vit dans le département du sud, dans la ville d’Aquin, le Grand Chef et sa troupe se sont fait un devoir d’aller lui rendre visite pour vérifier la bonne tenue de son foyer et la qualité de son air.

A plus forte raison car Aquin caracole au bord de la mer, comme en témoigne la photo ci-dessous.

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Plage Saint-Georges

Je vous entends déjà faire vos difficiles, ah mais ça n’est qu’une vulgaire plage des Caraïbes, oui messieurs dames, certes, mais vous n’avez pas vu ce qu’a vu le Grand Chef, vous n’avez pas vu la route qui longe l’azur comme si elle était au ciel, encombrée de lauriers rose en fleur dans des palmes enorgueillies de soleil. Vous n’avez pas vu la baie d’Aquin et ses mangroves qui lambinent entre les voiles blanches des pécheurs qui masquent les îlots par pudeur ou snobisme. Et vous ne vous êtes pas baignés dans cette eau si délicate qu’elle ne supporte qu’un fond de sable fin, au grand jamais un rocher.

Mais revenons à notre mission.

Le palais d’accueil du Grand Chef fut dûment inspecté par les gardes du corps chéfiaux (oui, c’est une nouveauté, désormais le Grand Chef a décidé de faire comme ses voisines et d’avoir des gardes du corps, ça fait chic)sous quatre paires d’yeux ébaubis d’enfants de moins de douze ans du voisinage venus observer la troupe chéfiale. A la question de l’électricité, l’établissement perdit illico ses 5 étoiles. Si on observe le boitier fidèlement reproduit par une caméra numérique sous cette phrase

(JPEG)

on voit bien qu’il y a un problème. Le problème n’est pas, naïfs, dans la distribution, mais dans la réception. Ce fil blanc qui pend a plusieurs amours. L’électricité courante, les batteries, la génératrice (qu’il faut transporter depuis le bureau à mains d’hommes) et la voiture. Il fut décidé sur un coup de dés que nous opterions pour la voiture. Utiliser les batteries automobiles permet d’alimenter plus d’ampoules dans la maison et de mettre la musique dans la voiture (ce qui pourrait être fait indépendamment, mais je trouve que vous chipotez). Ainsi la Ford fit l’homme orchestre dispensateur de lumière sous les étoiles trop nombreuses pour une nuit unique. L’établissement regagna ses galons.

Loin de nous en tenir au seul bénéfice de la charmante galerie, nous nous enlevâmes jusqu’à la place centrale de la ville, saluant au passage les ombres dans les vieilles maisons ruinées pour tâter un peu de l’animation du samedi soir. Au retour, Carmen ouvrit la route en faisant de grands gestes et une voix de possédée par un lwa [1] de son cru. Carmen était mécontente que des blancs s’accaparent SON blanc et insulta le Grand Chef (qui renouvela sa condamnation à errer la nuit dans les rues parallèles et perpendiculaires, pour la peine).

Après une nuit à digérer le poisson parfaitement boucané et le lam [2] frit en fines lamelles, la pluie vint frapper à la moustiquaire pour annoncer une nouvelle. La guerre du riz était dans les rues d’Aquin. Une clientéliste distribution de nourriture tournait à l’émeute. Le Grand Chef sait ces choses et ne fait jamais distribuer du pain à son peuple.

Aux cris qu’émettait le centre ville, et parce qu’on expliqua au Grand Chef qu’il n’était absolument pas nécessaire qu’il intervienne dans ces folies populaires, nous opposâmes nos braves mollets pour entreprendre une montée dans les hauteurs des mornes, entre les ânes, les enfants, les paysans distraits, les candélabres [3] et les cabrits. Des mornes nous commentâmes la vie, la mort et le sort du monde les yeux amoindris par le retour du soleil.

Un jour, après ces six mois de bonheur contenus dans vingt quatre heures, nous nous décidâmes à rentre à Port-au-Grand Chef. Rassurés sur le sort du volontaire, nous fîmes grandes accolades et promesses de retour rapide.

(JPEG)

Afin d’éviter une mort brutale et un long processus de réincarnation au contenu de la voiture qu’il conduisait, le Grand Chef se tint à distance des foules des camions et traversa sans peine Virgile, Miragôane, Petit Goave, Grand Goave, Léogane et Mariani. Arrivés à Port-au-Grand Chef nous jurâmes de ne dire à personne qu’Aquin est un paradis. Il fut scellé que nos rapports ne contiendraient que le froid constat d’un désastre, une ville en déshérance la faute à son face à face avec la Colombie et à la puissance de la drogue poudreuse. Ainsi personne n’ira à Aquin et le territoire demeurera inviolé. A vous seuls je peux répéter jusqu’à l’ennui et l’endormissement la chair tendre d’une figue mûre et le vert tendre des rizières calmes.


Notes :

[1] Terme générique pour une divinité vaudou

[2] Le lam est le fruit d’un arbre que vous devriez connaître qui se nomme lam veritab.

[3] Les candélabres sont des cactus qui servent de haies parce qu’il faut bien que piquer ait une fonction.


Bagne