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Mémoires d’un platane : épisode 11

Par Benjamin S., Jeuniste du prix et de la mornographie , le samedi 18 avril 2009.

Presqu’un an après l’épisode 10, alors que j’avais dit que le nouvel épisode arriverait vite. Valait-ce l’attente ? Un seul moyen de le savoir.

Ninnog, le 16 Avril

Comme promis, tout le monde est venu chez François pour travailler avec lui sur la nouvelle formule de son émission de radio. Le but est d’arriver à un espace de dédicace qui aille au-delà du cliché, et qui mette vraiment l’auditeur en jeu, par le choix du texte et de la musique. Revenir à une radio vraiment libre et pourquoi pas communautaire. Je dois avouer que je suis curieuse de voir ce que ça va donner, car j’ai bien peur que mon ami se heurte à deux problèmes : premièrement je ne suis pas sûre que l’exigence de liberté, si j’ose le jeu de mots, on sait que la liberté est exigeante, aille de pair avec l’aspect commercial d’une radio qui vit de la publicité. Deuxième difficulté, l’âge des auditeurs me fait douter de leur capacité à défricher et faire partager.

Sans parler de l’aspect technique, l’enjeu psychologique du projet me fait peur. En cas de flop, comment François le prendra, qui semble être investi d’une mission, qui semble vouloir prouver quelque chose avec cette émission ? A l’inverse, en cas de réussite, comment mon public va-t-il réagir ? Me délaissera-t-il ? Je ne doute pas de la qualité de ma musique, ni de celle de mes fans, mais je ne suis pas non plus dupe du rôle joué par la communication dans mon succès.

Autant dire que ce n’est pas sans arrière pensée que je suis venue chez François. Pourtant je suis bien là, confortablement installée sur mon fauteuil, observant la situation, prête à intervenir quand la situation l’exigera, ferme sur la nécessité de faire respecter ma parole. A ma droite, Alcibiade est bien plus relax. Je le connais bien, pourtant je ne sais si c’est un masque. Est-ce juste une image qu’il veut nous donner ? En face de lui, il y a une table, à laquelle sont assis François et Veronika, l’un face à l’autre, un couple ma foi des plus mignons. Lui est très studieux avec son petit portable, prêt à taper toutes les idées géniales qui ne manqueront pas de surgir. Il prend son rôle tellement au sérieux qu’il lance un premier tour de table. Alcibiade se redresse :

« Le risque dans toute cette histoire, c’est de perdre la musique commerciale, qui est quand même le ciment de ton public. Imaginons que tu ouvres à plein les vannes, que tous les geeks de France se donnent le mot à coup de posts sur les forums, et se déversent en pop gothique sur tes ondes, ce serait la fin de tout. Tu connais le proverbe : toi qui es normal, ne croise pas le chemin des geeks. Rien que de prononcer ce mot, je me sens mal à l’aise. »

« Tu me diras : mon public, ce sont les ados, et ils sont toujours sur le net, à s’échanger des messages, plein d’amour et de lol. Ça ne veut pas dire qu’ils se parlent de musique. Je suis même sûr qu’ils s’en foutent. A leur âge, on écoute la radio, les boys band, on met du gel dans les cheveux. Que veux-tu qu’ils découvrent ? »

Je saisis la balle au bond : « D’autant plus que l’adolescence est l’âge du groupe, de l’appartenance. Ton public a besoin de repères simples pour savoir qu’il existe. Si tous les titres changent à chaque fois, on s’en sortira pas. Tu ne vas réussir qu’à les perdre. »

Le silence s’installe.

François, les deux coudes posés sur le bureau, marmonne un peu, les mains collées à la bouche. Je pense que c’est la fin de ce projet.

« Donc, si je résume, pour créer une structure, il nous faut des tubes et de la répétition. A vrai dire, ce n’est pas contradictoire avec mon envie. Ce que je recherche n’est pas la destruction de la radio au profit du hasard, pour ça, un I POD shuffle suffit. »

Petit silence, on entend François déglutir.

« Enfin, bon sang, ça ne vous arrive jamais d’entendre un morceau et de vous dire : quel tube ! Dommage qu’il n’ait pas le budget marketing suffisant ! Je crois qu’il existe des morceaux qui vivent du bouche à oreille, et nous allons simplement amplifier le processus. Comme quand un ami plus âgé, te transmet ces découvertes, comme au temps des K7. Je veux réintroduire ce rite de passage, ce moment où tu te dis : j’écoute ça donc je suis grand. Même si quand on est vraiment grand, on écoute autre chose. Il faut poser les jalons. Ouvrir les oreilles. »

« Aujourd’hui on peut tout télécharger, mais si tu jettes quelqu’un à l’eau sans lui apprendre à nager, il se noie. Il faut un conseiller. Même de mauvais conseils peuvent être bons si tu te construis par rapport à eux. »

Tout le monde réfléchit.

Veronika prend la parole : « Ce qu’on veut, c’est que les ados prennent un peu conscience de ce qu’ils sont, qu’on peut leur imposer des choses, créer des repères, mais aussi qu’ils ont quelque chose à proposer, qui leur appartient, et que nous ne sommes pas forcés de comprendre. 

-  Une part pour le système, une part pour soi, synthétise Alcibiade.

-  Alors il faut répartir en playlists différentes, qui s’entrecroisent. Les tubes, les possibles tubes, les conseils d’ami. Des morceaux qu’on jouera régulièrement, d’autres moins, d’autres peut-être juste une fois. Laisser une chance à chacun en protégeant les morceaux les plus fragiles. »

Cette idée de cohabitation sur les ondes me plaît bien, mais le comment reste flou. Pourtant, le visage de François est maintenant pure détermination. Il a la clé, et brûle de nous la donner :

« Un forum sur internet. Facile. A la mode. Les jeunes adorent ça. Proposez : tout le monde en discute. Si ça plait, on passe. On modère pour éviter que le tout dégénère. Pour les dédicaces en elles-mêmes, on les fait d’abord passer par l’écrit, on propose des conseils, pas juste moi mais toute la communauté des auditeurs-acteurs, on les pousse à vraiment exprimer qui ils sont, à avoir un message propre. 1 minute importante dans leur vie, à bien utiliser. »

Alcibiade n’est pas convaincu. Il ne sait pas si c’est trop élitiste, ou un peu pédago-culcul. Comme si les gamins avaient envie de refaire un cours de français après l’école. A cette remarque, François rugit :

« Tu sais aussi bien que moi qu’on apprend à communiquer. J’ai fait pas mal d’essais avant d’arriver à l’antenne, toi tu m’as dit un jour que tu avais fait des études de marketing. Nous n’avons pas été lâchés dans la nature et notre envie de réussir nous a donné la force de travailler. Ninnog ne s’est pas mise à chanter comme ça, et même Veronika n’a pas le gêne de la couture. Une minute, juste une minute, pour tout dire, avec un écho énorme, tous les gens qui te connaissent t’en parlent après. Ca ne se fait pas comme ça. Tu vois tout ça comme un bon coup de bâton mais moi je pense que la carotte est suffisamment intéressante pour ne pas le voir. »

L’esprit de sérieux a pris possession de la pièce. Tout le monde a participé, même si le projet est indéniablement celui de François. Pas celui que je connaissais, celui remodelé par Veronika, dont le pouvoir me fait un peu peur. Le résultat pourtant est irréprochable. Cette énergie que je croyais perdue en François est de retour, l’insatisfaction qui le gagnait disparue.

« Merci les amis. J’y vois plus clair à présent grâce à vous. Reste à discuter des détails avec le réalisateur de l’émission, et surtout réussir à bâtir un forum qui tienne la route avec de bons modérateurs. Alcibiade, je vais avoir besoin de toi pour m’aider à trouver les mots pour convaincre mon directeur d’antenne. Je compte sur toi, mon charmeur de serpents. »

François sort le champagne. On trinque. Nous sommes au début de quelque chose de nouveau. Je ne sais pas si ça va marcher. Je l’espère. J’ai besoin d’y croire, malgré tous les risques.


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