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Mémoires d’un platane, épisode 14

Par Benjamin S., Jeuniste du prix et de la mornographie , le jeudi 15 avril 2010.

Cette semaine, un épisode scandaleux, rempli de remarques misogynes et de sexe graphique, interdit aux moins de 18 ans.

Résultat : playlist pleine d’amour, sans ordre particulier.

Retour à la bonne morale la semaine prochaine.

Découvrez la playlist Episode 14 avec Isaac Hayes

Alcibiade, 17 mai

« Je pense que ce serait une bonne idée de passer ce message.

-  Moui. C’est assez politique, non ? J’ai déjà pas mal d’ennui avec la musique, si en plus je passe des messages de révolte, je risque de sauter.

-  Et bien, j’en reste sur le cul. Il y a quinze jours tu te prenais pour le Che, et maintenant tu trembles pour ton fauteuil ?

-  A moi de te retourner la question : depuis combien de temps tu t’intéresses aux revendications des étudiants ? »

François marque là un point. Honnêtement, je ne porte pas la moindre attention aux jérémiades des jeunes esprits échauffés. Mais le corps tendu par la révolte des jeunes femmes pleines de licence est un carburant nécessaire à ma libido. Le sexe étant ma vie, leur révolte revêt au final, pour des raisons je l’avoue assez immorales, un intérêt vital à mes yeux.

De plus, il faut le dire, tout ce chaos est amusant. Je trouve sympathique ce sentiment qu’ont les jeunes d’exister en tant que corps social par le refus systématique, quitte à mettre en jeu dix fois plus de mauvaise foi que leurs adversaires.

Bref, je suis en vacance, je m’ennuie et j’ai promis à une adorable jeune demoiselle de faire écho à ses revendications en échange de ses nuits. Dans deux semaines au plus, tout cela sera fini. Il y a toujours de nouvelles attractions. Cela ne veut pas dire que l’on ne prend pas de plaisir à ce qui est maintenant.

« J’ai mes raisons. Accepte que pour une fois je puisse être le gentil, proposant un acte désintéressé. Même si on sait tous les deux que ce n’est pas vrai.

-  Ok, mais il faut que tu me convainques de prendre le risque.

-  J’ai pas besoin de chercher loin pour y arriver. Déjà parce que je sens que tu en as envie. Ensuite, parce c’est en continuité directe avec ton émission. Si tu veux un discours sans cliché, que les jeunes se sentent vraiment libres, il faut leur donner une vraie parole. La radio libre, ce n’est pas parler cul, ou pas que. La politique intéresse bien plus qu’on ne l’admet généralement. Ca et le fait que je baise régulièrement la fille dont je te parle.

-  Ah, d’accord, là je comprends. Je suppose que tu as raison. Si on ouvre les vannes, autant y aller à fond. Elle a de beaux seins, au moins ?

-  Très

-  Alors c’est décidé, nous le ferons.

-  Ce soir ?

-  Ce soir.

-  Au fait, comment va Veronika ? Avec tout ce bazar, ça fait quelques jours que je ne l’ai pas vue.

-  C’est gentil de faire semblant de t’intéresser à elle.

-  Mais pas du tout, je ne fais jamais semblant. Faudrait que tu me racontes ce qu’est le véritable amour. Je ne l’ai pas connu depuis si longtemps que je ne sais pas si je serais capable de le reconnaître s’il passait à côté de moi.

-  Oui bon ben c’est pas si simple tout ça. On a tous les deux beaucoup de boulot. On se voit le plus souvent possible, mais ça me paraît pas assez.

-  Pourquoi ne l’inviterais-tu pas à assister à l’émission ? Ce serait pas mal ce soir. On se ferait un resto après.

-  Tentant mais pas dit qu’elle accepte : elle bosse sur une commande d’une riche excentrique. Comme elle s’adapte à la personnalité, et que la personne est folle, ça donne des résultats pas possibles. Aux dernières nouvelles elle pensait lui créer une robe faite en papiers bonbons, traités pour ressembler de loin à une robe classique, mais qui émet un horrible bruit de froissé quand on s’approche, pour qu’elle soit à la fois inaperçue et inratable. Tu peux imaginer le travail que ça représente.

-  Quelle horreur !

-  Et tu n’as jamais pensé à faire appel à ses services ?

-  Mon dieu non ! Surtout après ce que tu viens de dire. Et puis avec mon caractère, elle me concocterait un costume de pénis géant..."

Le téléphone sonne juste à temps pour m’éviter de rentrer plus avant dans cette conversation embarrassante.

Je suppose que vous aimeriez savoir de quoi je parle. Ca n’a aucun intérêt. Dans ce genre de situation, je passe en mode automatique, et je pense à autre chose. Par exemple, à aller chercher ma Louise Michel en sa demeure, au trajet pour y aller, au choix de l’alcool à amener (suffisamment fort pour la désinhiber, pas trop pour ne pas lui faire dire n’importe quoi), me demander si j’ai le temps de prendre une douche avant de passer, et enfin de me rendre compte que François est toujours planté là.

Faut dire que je suis dans son bureau.

"Très bien Sylvie, nous ferons cela. Je vous dis à demain au bureau."

Sylvie est mon assistante de direction. J’ai une voix de charmeur au téléphone mais il ne faut pas s’y tromper, je ne mélange pas le sexe et le travail, et n’ai donc pratiquement jamais couché avec elle.

"Ok, François, à tout à l’heure. Je t’emmène ma petite... heu, je sais même plus son nom. Mais tu vas voir, elle va te livrer un très grand show tout à l’heure. Elle a de très beaux arguments."

Je quitte le bureau de François, et me dirige vers chez elle. J’ai bien repéré le chemin hier. Je ne note jamais d’adresse. Ma mémoire est avant tout photographique. Une personne se définit par son environnement, son odeur, une phrase prononcée sans faire attention, ou par une toute petite cicatrice sur un sein. Une ligne de chiffres et de lettres ne représentent rien. Je sais qu’elle habite une rue pleine d’étudiants, qui est malgré tout bien trop cher pour elle, à environ vingt-minutes à pied de chez moi. Une résidence Haussmannienne avec une boulangerie deux immeubles à droite. Je crois que j’y ai eu une relation avec une apprentie pâtissière, que j’ai rapidement dû arrêter car j’avais peur de prendre du poids.

Il y a ici des voitures mal garées qui ne reflètent pas le standing de la rue. Les belles berlines restent cachées dans les garages, tandis que les BX aux suspensions usées, et les twingo cadeaux de la tata sont coincées dehors. Etre étudiant, c’est récupérer ce qu’on peut, customiser avec des autocollants de concert de ska festif. Pour tout vous dire, ça sent le poster de pink floyd à l’entrée des toilettes.

La porte d’entrée est mal fermée et je rentre sans avoir besoin de sonner à l’interphone. Je monte les escaliers, d’abord larges avec pots de fleurs près des fenêtres, puis un petit, comme rajouté après coup, bien raide en plus. Pas étonnant d’avoir des envies de révolution quand on reprend une chambre de bonne. Arrivé au bout des sept étages, mon coeur bat un peu plus vite, mais tout reste en ordre : mon abonnement au salon de fitness ne sert pas qu’à décorer ma cheminée. Je frappe à la porte.

La jeune fille m’ouvre la porte presqu’immédiatement, comme si elle m’avait attendue toute la journée. Mon égo apprécie beaucoup. Elle est vêtue d’une petite culotte assortie à son débardeur, blanche à bordure rose. Pas de dentelle, pas de motif, pas de soutien gorge. Elle m’embrasse, me tire par le col, me pousse sur son lit, et commence directement à me déshabiller. La fougue de la jeunesse ! Renversé sur le dos, mon regard embrasse tout l’appartement : le toit qui descend au dessus du lit (y penser si je veux changer de position durant l’acte), le bureau, la cuisine plus ou moins équipée, une penderie, et c’est à peu près tout.

Alors que nous nous apprêtons à faire ce que d’aucuns jugeront dégoûtant, et que je trouve délicieux, me vient à l’esprit la seule question vraiment essentielle :

Au fait tu t’appelles comment ?

"Virginie ? Et toi ?

-  Alcibiade"

D’habitude, après les présentations, on se fait la bise. Ici, il s’agit bien d’un acte impliquant la bouche, mais c’est autre chose. De même, à cet instant du récit, vous vous attendez quelque chose de très érotique, impliquant un certain nombre de positions élaborées et néanmoins passible de provoquer le plaisir, pleines de moiteur et de volupté, de sauvagerie contenue et de lourds soupirs. Mais je ne vous les décrirai pas. Car si toutes ces choses ont bien lieu pendant que mentalement je vous parle, il n’empêche que j’ai ma dignité, et puis, avouez qu’il faut savoir garder une part de mystère.

Pendant l’acte, je garde un oeil sur ma montre. C’est macho, j’en suis bien conscient. Mais il y a une échéance importante et je ne voudrai pas être responsable de ce que la révolution n’ait pas lieu. J’opte donc pour la solution brève mais intense, celle qui donnera envie d’y revenir après l’émission. Cela peut vous étonner parce qu’on me présente volontiers comme un homme à femme, mais je suis un monogame intensif. Je ne trompe jamais ma partenaire. Je l’épuise, lui en donne chaque jour bien plus qu’elle ne peut prendre, de sorte qu’au bout de quelques jours, je n’ai plus qu’à dire que cette passion est folle et destructrice, et qu’il faut nous quitter si nous ne voulons pas y rester. La plupart du temps, ces paroles sont accueillies avec soulagement.

Je gis à présent dans le lit. Je me trouve dans cet état vaporeux qui suit l’acte, et j’ai beau savoir que je ne suis pas fatigué, que je peux me lever, m’habiller, je n’en ai simplement pas envie. Cela ne peut durer longtemps, et donc je me concentre aussi fort que possible sur ce moment. Comprendre que je déconnecte tout, laisse mes muscles se reposer, me concentre sur les perles de sueur qui coulent le long de mon cou, et compte chacune de mes lentes respirations.

C’est pour cela que je vis.

Toute ma sagesse se trouve là-dedans.

Je me dresse lentement ; Virginie est déjà douchée, habillée, pimpante et motivée. Il est grand temps d’y aller.


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